Il y a des gens qui filment comme on fume une dernière clope. Des types qui balancent leurs névroses à l’écran sans s’excuser, sans musique d’ascenseur, sans filtre beauté. Alex Ross Perry fait partie de ceux-là. Pas un styliste. Pas un génie. Juste un mec obsédé par les mots, les visages qui se fissurent, et les cadavres encore chauds de nos illusions middle-class.
On pourrait dire qu’il fait du cinéma « indé », mais ça ne veut plus rien dire en 2025, vu qu’un clip Dior peut finir à Sundance et qu’A24 est devenu une marque de totebag. Disons que Perry, lui, continue de creuser du côté des laissés-pour-compte du storytelling: écrivains ratés, amitiés cancéreuses, chanteuses toxiques, et autres épaves qui parlent trop fort pour qu’on puisse les ignorer.
Perry, c’est le gars qui a vu The Royal Tenenbaums et qui s’est dit: "Et si je virais la mignonnerie et que je gardais que le malaise"? Son cinéma, c’est ça: des maisons où on étouffe, des dialogues qui suintent la condescendance passive-agressive, des gens trop brillants pour être heureux, mais pas assez brillants pour s’en sortir.
Mais Queen of Earth, pour moi, c'est autre chose. C'est un film sur l’effondrement qui ne fait pas de bruit. Pas d’explosion. Pas de révélation. Juste une lente décomposition de l’intime, filmée comme une scène de crime domestique. Tu crois que tu vas regarder un petit thriller psychologique arty. Tu te dis: « Ah, des nanas qui pleurent dans une maison au bord d’un lac, ça sent le Bergman sous anxiolytiques. » Et tu n’as pas tort. Sauf qu’ici, les silences ne sont pas sacrés. Ils sont vides. Les regards ne sauvent personne. Ils font juste plus mal que les mots. Elisabeth Moss est géniale, évidemment, parce qu’elle a toujours l’air au bord du gouffre. Je fais toujours un transfert, quand je la regarde. Surtout parce qu'on a des cernes en commun. Et un bord du gouffre.
Perry ne filme pas le chaos, il filme la rupture, celle qui n’intéresse plus personne à part nous, les morts-vivants de la cinéphilie terminale.
J'ai menti dans ma dernière note, bien évidemment que je vais en caser une pour Her Smell, une espèce de portrait décomposé d’une chanteuse rock toxique et géniale, entre Courtney Love et un fantôme de Riot Grrrl qui aurait trop traîné sur Tumblr. C’est bruyant, agressif, instable. Comme une cuite de trois jours qu’on aurait décidé de filmer en 4 actes.
Alex Ross Perry ne sauvera pas le cinéma. Il n’en a ni la prétention, ni le capital. Il est là, planqué entre deux festivals, à faire des films que personne ne va voir, sauf quelques survivants d’un monde où l’on croyait encore qu’un film pouvait être un miroir, et pas une vitrine.
Il filme les losers magnifiques, les arrogants lucides, les femmes au bord du nerf. Il les regarde se débattre, se débattre encore, et puis sombrer. Avec classe.
En vrai, Alex Ross Perry, c’est ce qu’il reste quand on a trop aimé Godard, trop lu Salinger, et qu’on n’a plus de compte Netflix.
A la place, un abonnement Mubi. On peut même y voir Pavements, son docu fiction qui avance en crabe, jamais là où tu l’attends. Perry y joue avec les ruines d’un groupe qu’on n’a jamais su aimer correctement, mélange les formats jusqu’à l’épuisement, et laisse flotter un drôle de vide entre chaque idée. Tout semble fabriqué, désynchronisé, et pourtant quelque chose persiste, comme un souvenir mal rangé.
J'ai donc adoré.
Tout ça pour dire, regardez Alex Ross Perry. Ca vous sauvera pas, mais c'est super en mangeant des cookies juste sortis du four.
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