
Je suis fatiguée comme jamais. Ca fait une semaine que j'enchaîne les nuits de 5h. Après, c'est de ma faute, j'ai qu'à pas bosser comme une conne. C'est drôle, j'avais dit que cette année j'allais lever le pied et c'est encore pire. Je me fous dans de ces bails mais c'est pour des trucs que j'aime, alors je m'écrase. Quelque part, j'aime beaucoup la tournure que prennent les choses même si c'était pas forcément un truc que j'avais vu venir. Je crois que c'était quand même un peu écrit: plus j'avance et plus j'ai l'impression d'avoir hérité de ce que mes parents, mes grands-parents, n'ont jamais pu finir. Je dis pas que je crois à ces histoires de karma, ou de boucle à boucler, mais je peux pas faire comme si de rien n'était. Apporter le point final à une histoire familiale foutrac.
Je me suis prise à penser à ce que mon père aurait fait, dans certaines circonstances. C'était un fin stratège, pour ce qu'il voulait. Au parti socialiste, dans le syndicalisme. Avoir arrêté après qu'on lui crame sa bagnole, qu'on le rétame parce qu'il ouvrait trop sa gueule. Avoir loupé une carrière dans le journalisme, avoir refusé de se faire publier. Mon père avait la foi, mais elle avait fini par attérir dans le canapé, tout comme son cul. Il n'avait plus envie de rien, parce qu'il avait peur de son ombre, au fond de lui. La moindre difficulté devenait oppressante à en crever. Je le revois encore, tomber petit à petit, alors que je l'avais connu si vaillant. Il devenait comme son père, ayant lui-même raté le virage de la vie. Un type agressif, trop porté sur la picole pour qu'on se rappelle de qui il était vraiment. Un sale mec, qui aurait voulu être architecte, mais qui avait fini à l'usine, parce que c'est là-bas que terminait tous les gamins de prolo. Un dessinateur hors pair, que j'avais surpris en train de chialer, un jour, devant de vieux plans qu'il avait réalisé.
Et puis il y a ma mère, qui voulait juste ouvrir un putain de garage. Sa mère, qui aurait grandement apprécié ne pas chuter de classe sociale. Mon autre grand-mère, trop pauvre pour être digne d'épouser un fils de médecin, et mal née pour envisager une carrière dans la mode, comme elle en rêvait. Chacun et chacune, ayant essayé de se battre contre les éléments, ayant essayé de faire exploser ce qui les maintenaient à une place qu'ils abhorraient.
J'y pense souvent, à leur destin de merde. Aux chemins qu'ils auraient du emprunter, leur effet papillon manqué. S'ils auraient pu contourner les règles, si les dés n'étaient pas pipés d'avance. Je dis pas que je fais tout ça pour eux. Mais je sais pas, plus j'avance et plus je me demande si ça n'est pas un de mes moteurs. Leur rendre une espèce de justice, même s'ils sont tous et toutes six pieds sous terre. Je crois que je dois être plus sentimentale que je ne le pense.
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