j'ai toujours rêvé d'être carrie bradshaw

 

Je suis sortie de Materialists avec la mâchoire serrée. Pas à cause du film. À cause de ce qu’il déclenche. Ce truc qui revient à chaque fois qu’une femme ose foutre en l’air le scénario prévu. Elle choisit pas le mec blindé, pas celui qui te pose dans une vie bien plan-plan avec piscine chauffée et week-ends à Rome. Elle choisit le mec fauché. Et là, tout le monde s’étrangle.

C’est devenu ça, notre seuil de tolérance: une femme peut baiser, gueuler, gagner sa thune, ne pas vouloir d’enfants, tant qu’elle choisit un mec qui la stabilise. Qui la valorise. Qui lui rend ce qu’elle vaut sur le marché de la vie adulte. Tu peux être libre, indépendante, brillante. Mais si tu tombes amoureuse d’un mec sans carrière, sans Rolex, sans plan retraite? Tu passes pour une conne.

Et faut voir le mépris. Chez nous, même les plus déconstruites. Surtout là. Parce que ouais, ça fait désordre. Ça fout en l’air le vernis. Le féminisme, tant qu’il reste bien empaqueté avec un mec safe, cadre sup, qui paie l’addition, ça passe. Mais dès que tu sors du cadre, dès que tu choisis un mec qui n’a rien à offrir sauf lui-même, on te regarde comme si t’avais trahi la cause.

Mais la vraie trahison, c’est ça: continuer à croire qu’un mec doit offrir. Qu’il doit porter. Que si toi, t’as réussi à t’en sortir, t’as pas le droit d’aimer quelqu’un qui n’en est pas encore là. Parce qu’alors, forcément, t’es tombée amoureuse pour les mauvaises raisons. Ou pire: t’es une femme qui donne. Et ça, on pardonne pas.

On s’est tellement battues pour pas être dépendantes, qu’on a oublié qu’on avait aussi le droit d’être celles qui soutiennent. Celles qui tendent la main. Celles qui disent : "T’es pas à la hauteur aujourd’hui? Je reste quand même." Mais ça, c’est trop risqué. Trop bancal. Trop peu rentable.

Parce que ce que ce mec sans thune renvoie, c’est pas juste l’insécurité. C’est notre propre matérialisme. Ce coin de nous qui s’est arrangé avec la galère en choisissant la sécurité. Ce moment où on s’est dit: "Il est pas ouf, mais il a un CDI." Ce moment où aimer, c’est devenu stratégique. Un confort. Un calcul.

Alors évidemment, on se fout des mecs qui restent avec une meuf pour les papiers ou le logement. Mais on ferme bien notre gueule sur nous, quand on reste pour l’assurance-vie. L’amour est devenu un produit. Et on l’achète comme on peut. Si possible avec un mec bien décoré, un qui donne envie sur Instagram.

Et les mecs, là-dedans? Ils font pas mieux. Ils supportent pas qu’on les aide. Qu’on paie. Qu’on les relève. Parce qu’on leur a vendu que la virilité, c’est faire bouillir la marmite, pas chialer dans les bras de sa meuf un soir de doute. Donc ils s’accrochent à leur bagnole pourrie comme si c’était leur dernière couille. Parce qu’ils ont peur que la tendresse leur coupe les jambes.

Et qu’on soit claires : c’est pas pour glorifier le mec broke par principe. Y’en a, des hommes-sangsue. Des mecs qui savent rien faire à part se plaindre, s’installer, te bouffer ton énergie et ton frigo. Des mecs qui se prennent pour des artistes maudits mais qui pondent pas une ligne, qui veulent "être soutenus" mais jamais remettre un lave-vaisselle. Y’a de la feignasse et de l’abus aussi chez les pauvres, c’est pas ça le sujet.

Mais ce qu’on oublie vite, c’est que la charge mentale, on se la paiera autant avec le blindé. Le mec en costume à 6K par mois, il va pas plus penser à la bouffe du chien ou au rendez-vous chez le pédiatre. Il va pas plus deviner que t’es à bout. Sauf que lui, on lui pardonne. Parce qu’il paie le loyer. Parce qu’il "assure". Alors on fait abstraction. On serre les dents. On encaisse. On se raconte qu’on a de la chance. Mais ce qu’on veut éviter de voir, c’est que l’argent n’a jamais fait le respect. Que ce n’est pas le montant du compte en banque qui te fera sentir qu’on est deux. C’est ce que l’autre fout à côté de toi quand t’es dans le creux. Ce qu’il prend sur lui. Ce qu’il t’épargne. Ce qu’il voit sans que t’aies à le dire.

Mais c’est ça, un couple, non? Être là quand ça déraille. Quand ça pue. Quand y’a pas de solution. Être deux à tenir sous la flotte. Pas une mise en scène. Pas un plan de carrière. Une alliance de failles. Pas une fusion de CV.

Et c’est peut-être ça que ce film raconte, au fond. Pas une histoire d’amour. Une histoire de lâcher-prise. Une histoire de ce qu’on perd quand on aime sans garantie. De ce qu’on renonce à calculer. De ce qu’on accepte de ne pas rentabiliser.

Et si ça nous fout aussi mal, c’est peut-être parce qu’on sent que ça nous vise. Que cette nana, qui dit merde à la sécurité, elle vient nous dire ce qu’on n’a pas voulu voir en nous. Qu’on a parfois aimé par confort. Par fatigue. Par stratégie. Et que ça aussi, c’est une trahison.

Alors ouais, on peut se foutre d’elle. Dire qu’elle est folle. Qu’elle s’est faite avoir. Mais la vérité? On est tous et toutes le mec fauché de quelqu’un, à un moment donné. 

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