west end girl: lily allen, merci.


Il y a un moment, dans une relation qui se fissure, où tu te demandes ce qui cloche chez toi. Pas chez lui. Chez toi. Tu passes tes nuits à te décortiquer: t'es trop comme ci, pas assez comme ça. T'es chiante, collante, pas assez cool, trop exigeante. Tu te retournes dans tous les sens comme un vêtement qu'on inspecte pour trouver l'accroc, le défaut de fabrication. Le truc, c'est que tu ne le trouves jamais. Parce qu'il n'existe pas. Le problème, il n'est pas là. Mais ça, tu mets du temps à le comprendre.

West End Girl, le nouvel album de Lily Allen sorti ce 24 octobre après sept ans d'absence, c'est exactement ce moment de bascule. Celui où tu arrêtes de te chercher des excuses à toi pour justifier la merde qu'il t'a faite. Celui où tu réalises que non, ce n'est pas toi qui es trop ceci ou pas assez cela. C'est juste que lui, il était ailleurs. Avec quelqu'un d'autre. Dans une autre histoire. Et que tu t'es épuisée à courir après un fantôme.

L'album a été écrit en dix jours. Dix putains de jours pour démonter un mariage, une vie à New York, un conte de fées qui sentait déjà la moisissure sous le vernis Instagram. Lily Allen ne fait pas dans la dentelle: elle ouvre le carton des sex toys trouvé dans l'appart de son mec, elle écoute les vocaux sirupeux de l'autre femme qui lui balance des love and light en mode guru californienne, elle rumine sur des textos, sur des règles d'open relationship brisées, sur le mensonge packagé comme une libération.

Sur Ruminating, avec une prod chaotique qui pourrait figurer sur BRAT de Charli XCX, elle se consume: "Ruminating, ruminating, I've been up all night / Did you kiss her on the lips and look into her eyes?". Elle ne dort plus. Elle ne pense plus qu'à ça. C'est viscéral, obsessionnel, dégueulasse. Exactement ce que c'est, la trahison: un parasite qui te bouffe de l'intérieur pendant que l'autre dort tranquille.

Et puis il y a Madeline. Madeline, l'autre femme. Celle qu'on veut détester mais qu'on interroge quand même, comme si elle détenait une vérité. Lily la confronte, mélange rage, empathie, confusion: "You tell me he's telling the truth, is that the case or a line that he fed you?" Elle ne sait plus qui ment, qui dit vrai, si elle peut faire confiance ou si elle va se faire enfumer une énième fois. Parce que c'est ça aussi, la trahison: ça te casse ton détecteur de bullshit. T'as tellement été prise pour une conne que tu deviens parano, incapable de croire qui que ce soit.

J'ai vécu ça. Cette sensation d'être en permanence le problème. De me demander pourquoi je n'étais jamais celle qu'il fallait. Jamais assez drôle, jamais assez légère, jamais assez...quoi, au juste? Le manque, tu ne le localises jamais. Il flotte, diffus, partout et nulle part. C'est toi toute entière qui deviens le manque. Alors tu te contorsionnes, tu te déformes, tu essaies d'être plus large sur les rebourds, plus compréhensive. Sur Nonmonogamummy, Lily chante avec une ironie déchirante: "I've been trying to be open / I just want to meet your needs". Elle accepte l'open relationship, elle fait des efforts, elle se plie en quatre. Pour quoi? Pour découvrir qu'il a quand même tout cramé, que les règles ne comptaient que pour elle.

C'est là que l'album devient lumineux dans sa cruauté. Parce que Lily arrête de se flageller. Sur Let You W/In, acoustique et limpide, elle lâche prise: "I'm sick of carrying, suffering for your sins / Already let you in, so why should I let you win? / You've taken everything". Elle en a marre de porter son merdier à lui. Elle réalise que le poids qu'elle trimballe depuis des mois, c'est pas le sien. C'est celui de ce mari qui la pulvérise.

Fin de partie sur Fruityloop, un titre onirique qui boucle tout: "It's not me, it's you", référence assumée à son deuxième album It's Not Me, It's You. Elle vient de faire le tour complet. Le cycle est bouclé. Ce n'est pas elle, le problème. Ça ne l'a jamais été. Lui, il était déjà stuck inside his fruityloop, coincé dans ses patterns toxiques, répétant en boucle les mêmes conneries. Elle ne pouvait rien y faire.

West End Girl m'a fait du bien comme la claque d'une meilleure amie sincère. Parce qu'il dit ce qu'on n'ose pas se dire quand on est en plein dedans: que parfois, le problème, ce n'est pas nous. Que se remettre en question, c'est sain, mais se démolir pour justifier la violence de l'autre, c'est juste une autre façon de lui donner raison. Lily Allen ne fait pas dans le feel-good facile. Elle ne prétend pas que tout va bien maintenant. Elle est juste passée de l'autre côté: celui où elle arrête de se regarder à travers les yeux de celui qui l'a trahie.

L'album est un couteau planté dans le mythe de la femme qui doit toujours être à la hauteur. Il démonte le narratif de la cool girl qui accepte tout, qui ne fait pas de vagues, qui ferme sa gueule. Lily en a fait, des vagues. Elle a hurlé, pleuré, confronté. Elle a failli rechuter dans l'alcool et les médocs (Relapse raconte cette tentation glaçante de tout éteindre avec du Valium). Elle a été humaine, bordélique, furieuse. Et elle a survécu.

C'est un album qui ne te console pas. Il te secoue. Il te regarde dans les yeux et te dit: arrête de chercher ce qui cloche chez toi. Regarde plutôt ce qu'il t'a fait. Et détache-toi du regard qu'il a posé sur toi, parce que ce regard, il était déjà faussé, déjà ailleurs, déjà occupé à construire d'autres histoires.

West End Girl est sorti aujourd'hui. Écoutez-le. Pas parce qu'il va vous rendre heureux. Mais parce qu'il va peut-être vous rendre plus libres.

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