I love L.A.

 

J’ai regardé I Love L.A. et j’ai eu cette impression étrange d’observer des gens qui passent leur temps à faire semblant d’habiter leur vie. Ils parlent, ils posent. Pas par manque d’intelligence. Par manque de centre. Le personnage de Rachel Sennott, Maia, c’est ça: une fille qui flotte. Pas de contour, pas de profondeur, juste une succession de gestes appris. Et bizarrement, c’est ce qui la rend touchante. Une personnalité en pointillés.

Maia, je la connais. Je l’ai déjà été. Ce n’est même pas un personnage, c’est un stade de l'existence, une zone floue où t’es là à moitié, mais où tu fais quand même un peu de bruit pour qu’on te repère. Elle n’a rien de spécial, rien d’iconique, rien de ce qu’on vend dans les séries qui veulent te persuader que tes névroses sont esthétiques. Elle est juste…passable dans sa passabilité. Passable dans sa tête, passable dans sa peau. Croire que le sexy se mesure à la taille de sa jupe, toujours un peu en décalage, la fille qui sourit et qui se demande si elle ne devrait pas être quelqu’un d’autre.

Ça m’a frappée, ça. Son vide. Un vrai vide. Celui qui colle au ventre quand t’as 27 ans, que tu baises avant d’aller bosser juste pour te rappeler que t’as un corps, et que deux heures plus tard tu te retrouves face à un boss qui se fout totalement de toi, de ton talent, de tes nuits, de tes efforts. A être la petite jeune du bureau qu'on chambre faussement gentiment. A faire les mentors en carton, pour masquer leurs propres échecs de quadras en mal de reconnaissance.

Et Tallulah. Putain, Tallulah. J’en ai eu, des Tallulah. Les amies qui t’aiment et qui te plantent un couteau symbolique entre les côtes le même jour. Les filles avec qui t’as une complicité qui te serre la gorge, celles avec qui la rivalité te rend vivante. C’est beau, c’est violent, c’est ridicule, c’est exactement nos vingt-sept ans. 

Maia, elle flotte. Elle ne sait pas être elle-même, elle ne sait même pas ce que ça veut dire. Elle essaye juste de ne pas s’effacer complètement. Elle prend ce qu’on lui donne: une aventure, une idée de carrière, un compliment bancal, une soirée qui dure trop longtemps, une crise qui déborde. Elle n’est pas intéressante. Elle n’est pas complexe. Elle est juste là, en train d’essayer de devenir quelqu’un alors qu’elle n’a même pas encore décidé qui.

C’est ça qui m’a plu. Cette absence de posture. Cette banalité désespérée. Un fantôme qui n’a jamais vraiment quitté la pièce.

underground female authors


Mal de dos terrible, je pense que je commence à comprendre ce que ça fait d'être ma mère. J'ai passé ma journée à décorer pour Noel, en bouffant du Burger King végé. Je me suis aussi fait le replay de Pékin Express car cette saison réalise les deux choses les plus sous-côtées selon moi: marcher dans le froid et l'alcool fait maison.

I cannot express it; but surely you and everybody have a notion that there is or should be an existence of yours beyond you


Je sais, je sais, je sais, personne n'attend le Wuthering Heights d'Emerald Fennell comme on attend le messie, mais comme disait ma prof de théâtre goth qui s'est barrée à Tahiti parce qu'elle a eu une révélation à l'âge de 60 balais : l'essence même d'Emily Brontë se retrouve dans chaque coin de tête des filles qui ont quitté le navire.

Je repensais à cette phrase récemment. Ça explique pourquoi elle m'écrivait toujours des rôles aussi fucked up. Elle savait déjà que j'allais quitter le navire avant que je ne m'en rende compte moi-même. Elle voyait l'empreinte Brontë en moi, cette capacité à rester plantée sur une lande venteuse à attendre que quelqu'un vienne foutre le feu à tout. C'est exactement ce qu'on fait, nous les filles qui avons quitté le navire : on reste là, debout dans le vent, à regarder brûler ce qu'on aurait dû abandonner il y a longtemps.

Je ne miserai pas trop sur notre santé mentale pour cette fin d'année.Vraiment pas.

Entre Rosalía et son orchestre philharmonique qui nous prépare quelque chose qui va forcément nous détruire émotionnellement, l'adaptation de Shelley qui nous fait questionner notre existence entière, et maintenant Charli XCX en ombre malsaine d'une Cathy Earnshaw qui, de toute façon, n'avait jamais posé un pied sur le navire. Charli, elle, elle l'a peut-être pris, le navire, juste pour y mettre le feu depuis l'intérieur. C'est encore plus Brontë que Brontë.

Je me demande parfois si toutes les grosses machines ne se réunissent pas dans une pièce pour mettre au point tout un storytelling coordonné. Genre, il y a eu The Life of A Showgirl de Taylor Swift, qui a sonné un peu comme "tenez, ceci est mon sang", avant de voir débarquer toutes les showgirls qui vont effectivement nous montrer la vie. Comme si quelqu'un avait décidé: "Ok, cette année, on leur fait le coup du miroir. On leur montre le spectacle du spectacle. Elles vont adorer se sentir intelligentes en le regardant".

Et on adore, effectivement.

Je me demande parfois si on n'a pas toutes signé pour la même illusion collective. Celle où on croit qu'on observe, alors qu'on participe. On se dit "non mais moi, je vois les ficelles", tout en rejouant exactement le même spectacle, avec la même musique dramatique et les mêmes larmes en Dolby. On like, on commente, on partage des analyses profondes sur TikTok, on décortique chaque symbole, chaque robe, chaque regard caméra, comme si on n'était pas déjà prises dans le décor. Comme si voir le truc nous en sortait.

Spoiler: ça ne nous en sort pas.

Je crois qu'on a juste changé le fond vert du romantisme pour un écran OLED. Les landes, c'est maintenant nos fils d'actualité. Heathcliff, c'est l'algorithme qui nous connaît mieux qu'on se connaît. Et on reste là, à attendre qu'il revienne, encore et encore, à nous montrer exactement ce qu'on veut voir.

C'est pas la faute des artistes. Elles font ce qu'on leur a demandé de faire : nous hypnotiser avec une vérité calibrée, belle, déchirante, parfaitement éclairée. Ce sont les prêtresses d'une religion où tout le monde veut communier, même les athées. Moi la première. Je suis là, à genoux devant l'autel de chaque nouveau clip, à attendre ma dose de transcendance en 4K.

Je veux croire que chaque sortie d'album est un signe, que chaque robe en satin est un message codé, que si je regarde assez longtemps, je verrai la faille derrière la mise en scène. La vérité brute. Le moment où l'artiste arrête de jouer.

Mais la vérité, c'est qu'on aime trop le décor pour le démonter.

On pourrait. On a tous les outils. On a les coulisses sur Instagram, les making-of sur YouTube, les interviews où elles "se livrent vraiment cette fois". On sait que c'est construit. On sait que la vulnérabilité est dirigée, que les larmes sont bien éclairées, que même la spontanéité a été répétée.

Mais on s'en fout.

Parce qu'au final, Emily Brontë aussi construisait. Elle aussi nous a fait un décor, avec ses landes et ses fantômes et son amour toxique magnifique. Et on le lit encore, 170 ans plus tard, en sachant très bien que c'est de la fiction. Que Heathcliff n'a jamais existé. Que personne ne meurt vraiment d'amour sur une lande anglaise.

Peut-être que c'est ça, l'essence de Brontë dans nos têtes de filles qui ont quitté le navire: on sait qu'on se ment, mais on continue quand même. On reste sur la lande. On regarde brûler. On attend le fantôme.

Et quand Fennell va sortir son Wuthering Heights, on ira le voir. Évidemment qu'on ira. Même si on sait déjà que ça va être beau, construit, calibré pour nous détruire juste ce qu'il faut.

Parce qu'on aime ça, être détruites par du beau.

C'est peut-être pour ça qu'on a quitté le navire, finalement. Pour pouvoir rester sur la lande.

Et regarder Charli XCX chanter avec John Cale.

the old religion


J'ai mis le nouvel album de Florence + the Machine ce matin, un peu par réflexe, un peu par curiosité morbide. Titre: Everybody Scream. Ça sonnait comme une blague. Puis j'ai compris que non. Je l'avais déjà écouté rapidement, fébrilement. C'est un album difficile, dans lequel tu rentres un peu à tâtons, en sachant que tu vas te prendre les orteils dans les coins de meubles.

Ce n'est pas un album joli. Ce n'est pas Cosmic Love avec des robes qui tournent. Un cri de corps. Tu sens qu'elle a morflé (pas façon mélodrame, mais façon "je me suis vidée sur scène et j'ai quand même fini le show"). Une grossesse extra-utérine, qui aurait pu la laisser sur le carreau, et qui a irrémédiablement modifié la voix. Qui fait que tu chantes différemment après, parce que t'as compris des trucs sur toi que t'aurais préféré ne jamais savoir.

Je ne sais pas si elle a fait exprès, mais tout sonne un peu tordu. Les chœurs sont trop proches, presque étouffants, comme s'ils t'encerclaient dans une pièce trop petite. Les percussions cognent bizarrement, à contretemps, comme un cœur qui bat mal. Il y a des moments où ça accroche, où ça refuse de se résoudre proprement. Et en même temps, c'est exactement ça qui marche. Ça respire la survie. Pas la belle survie des films, celle où t'en ressors grandi. Non, la survie bancale, celle où tu tiens debout mais tu ne sais pas vraiment comment.

Florence, elle a toujours eu ce côté grande prêtresse céleste qui danse pieds nus dans des forêts imaginaires. Mais là, elle est redescendue et elle se traine sur la caillasse, à en avoir les genoux écorchés. C'est toujours mystique, oui, mais plus crade. Moins "rituel de lune", plus "je fais un sort pour pas crever demain matin". Elle n'invoque plus rien de doux. Elle négocie avec ce qui reste.

Y a une chanson, One of the Greats, où elle balance: "It must be nice to be a man / And make boring music just because you can." Et j'ai ri. Un rire un peu moche, coincé entre la gorge et le ventre. Parce que c'est vrai. Parce qu'elle a mis le doigt sur un truc qu'on ressent sans jamais oser le formuler ainsi. Et puis parce que j'aimerais parfois qu'elle fasse de la musique ennuyeuse aussi, juste pour souffler. Juste pour exister sans devoir justifier chaque note, chaque décision artistique.

Ce disque-là, il n'est pas là pour séduire. Il a quelque chose de moite et de spirituel à la fois, comme si elle avait ouvert son corps et branché l'ampli dessus. Comme si elle avait décidé d'arrêter de filtrer, de polir, de rendre les choses acceptables. Il y a une nudité là-dedans qui met mal à l'aise. Pas la nudité esthétique des clips conceptuels, mais celle, beaucoup plus violente, de quelqu'un qui te montre ses cicatrices sans prévenir.

Il y a une phrase dans une interview, où elle disait qu'elle ne voulait plus retarder les choses, ne plus se cacher derrière le perfectionnisme. Qu'elle en avait marre d'attendre le bon moment, la bonne inspiration, le bon équilibre. Et ça s'entend: Everybody Scream, c'est une tempête sortie trop tôt, pas finie, un peu mal coupée, mais honnête. Les coutures dépassent. On voit les fils. Et franchement? Ça fait du bien d'écouter un album qui tremble un peu. Qui ose être imparfait, pas par paresse, mais par urgence.

J'ai pensé à toutes les fois à ce qu'on garde trop longtemps parce qu'on nous a appris que c'était pas élégant, pas convenable, pas nous. À tous ces moments où on ravale ce qui déborde parce que le timing n'est pas bon, parce que les autres n'ont pas l'air prêts à encaisser. Peut-être que c'est ça le truc: elle a crié pour nous. Pas pour faire de la belle musique. Pour prouver qu'elle existait encore, même abîmée. Surtout abîmée.

Et au fond, c'est peut-être son album le plus généreux. Parce qu'il nous autorise à être bruts aussi.

2010 is so back

mamdani élu, avoir un mec est embarrassant, taylor swift est de nouveau raciste, katy perry a sorti un titre pop rock. nature is healing.

bright light

 

Millie Bobby Brown a un peu ma vie rêvée : des poules, un âne et des chiens, tout ça dans une ferme en Angleterre. Genre le cliché parfait, sauf que je me vois déjà incapable de nourrir quoi que ce soit sans traumatiser l’animal en question (et moi avec). Un peu comme Meghan Markle et son émission lifestyle qui peut te tuer si tu sais pas doser les produits correctement (mais la maison est tellement lumineuse que t’as envie de t’y jeter la tête la première, j’avoue). Et là je me demande…est-ce que toutes ces influenceuses quinoa n’avaient finalement pas raison? Oui, je dis bien finalement. Silence, honte.

Novembre, le mois cotonneux par excellence. Les rues sont floues, la lumière est molle, et moi je flotte entre "je fais rien" et "je devrais faire un truc". Et, tenez-vous bien, j’ai découvert à 38 balais que j’aimais… les petits pois. Oui. LES PETITS POIS. Merci la thérapie, merci mon écoute obsessionnelle de Romy (Love who you love, sur repeat, évidemment). Qui aurait cru qu’un légume vert pouvait chambouler une vie adulte? Je suis Katy Perry qui revient au pop rock et trouve la paix en regardant une marguerite pendant qu'un train fonce sur elle à toute allure. Ce qui ne fait que confirmer ma théorie qu'elle écrit définitivement des chansons pour les gens uniquement nés le 25 octobre.

Et tant que j'y pense, regardez aussi le Frankenstein de Del Toro. Jacob Elordi, you're such a babe.