J'ai mis le nouvel album de Florence + the Machine ce matin, un peu par réflexe, un peu par curiosité morbide. Titre: Everybody Scream. Ça sonnait comme une blague. Puis j'ai compris que non. Je l'avais déjà écouté rapidement, fébrilement. C'est un album difficile, dans lequel tu rentres un peu à tâtons, en sachant que tu vas te prendre les orteils dans les coins de meubles.
Ce n'est pas un album joli. Ce n'est pas Cosmic Love avec des robes qui tournent. Un cri de corps. Tu sens qu'elle a morflé (pas façon mélodrame, mais façon "je me suis vidée sur scène et j'ai quand même fini le show"). Une grossesse extra-utérine, qui aurait pu la laisser sur le carreau, et qui a irrémédiablement modifié la voix. Qui fait que tu chantes différemment après, parce que t'as compris des trucs sur toi que t'aurais préféré ne jamais savoir.
Je ne sais pas si elle a fait exprès, mais tout sonne un peu tordu. Les chœurs sont trop proches, presque étouffants, comme s'ils t'encerclaient dans une pièce trop petite. Les percussions cognent bizarrement, à contretemps, comme un cœur qui bat mal. Il y a des moments où ça accroche, où ça refuse de se résoudre proprement. Et en même temps, c'est exactement ça qui marche. Ça respire la survie. Pas la belle survie des films, celle où t'en ressors grandi. Non, la survie bancale, celle où tu tiens debout mais tu ne sais pas vraiment comment.
Florence, elle a toujours eu ce côté grande prêtresse céleste qui danse pieds nus dans des forêts imaginaires. Mais là, elle est redescendue et elle se traine sur la caillasse, à en avoir les genoux écorchés. C'est toujours mystique, oui, mais plus crade. Moins "rituel de lune", plus "je fais un sort pour pas crever demain matin". Elle n'invoque plus rien de doux. Elle négocie avec ce qui reste.
Y a une chanson, One of the Greats, où elle balance: "It must be nice to be a man / And make boring music just because you can." Et j'ai ri. Un rire un peu moche, coincé entre la gorge et le ventre. Parce que c'est vrai. Parce qu'elle a mis le doigt sur un truc qu'on ressent sans jamais oser le formuler ainsi. Et puis parce que j'aimerais parfois qu'elle fasse de la musique ennuyeuse aussi, juste pour souffler. Juste pour exister sans devoir justifier chaque note, chaque décision artistique.
Ce disque-là, il n'est pas là pour séduire. Il a quelque chose de moite et de spirituel à la fois, comme si elle avait ouvert son corps et branché l'ampli dessus. Comme si elle avait décidé d'arrêter de filtrer, de polir, de rendre les choses acceptables. Il y a une nudité là-dedans qui met mal à l'aise. Pas la nudité esthétique des clips conceptuels, mais celle, beaucoup plus violente, de quelqu'un qui te montre ses cicatrices sans prévenir.
Il y a une phrase dans une interview, où elle disait qu'elle ne voulait plus retarder les choses, ne plus se cacher derrière le perfectionnisme. Qu'elle en avait marre d'attendre le bon moment, la bonne inspiration, le bon équilibre. Et ça s'entend: Everybody Scream, c'est une tempête sortie trop tôt, pas finie, un peu mal coupée, mais honnête. Les coutures dépassent. On voit les fils. Et franchement? Ça fait du bien d'écouter un album qui tremble un peu. Qui ose être imparfait, pas par paresse, mais par urgence.
J'ai pensé à toutes les fois à ce qu'on garde trop longtemps parce qu'on nous a appris que c'était pas élégant, pas convenable, pas nous. À tous ces moments où on ravale ce qui déborde parce que le timing n'est pas bon, parce que les autres n'ont pas l'air prêts à encaisser. Peut-être que c'est ça le truc: elle a crié pour nous. Pas pour faire de la belle musique. Pour prouver qu'elle existait encore, même abîmée. Surtout abîmée.
Et au fond, c'est peut-être son album le plus généreux. Parce qu'il nous autorise à être bruts aussi.

Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire