I cannot express it; but surely you and everybody have a notion that there is or should be an existence of yours beyond you


Je sais, je sais, je sais, personne n'attend le Wuthering Heights d'Emerald Fennell comme on attend le messie, mais comme disait ma prof de théâtre goth qui s'est barrée à Tahiti parce qu'elle a eu une révélation à l'âge de 60 balais : l'essence même d'Emily Brontë se retrouve dans chaque coin de tête des filles qui ont quitté le navire.

Je repensais à cette phrase récemment. Ça explique pourquoi elle m'écrivait toujours des rôles aussi fucked up. Elle savait déjà que j'allais quitter le navire avant que je ne m'en rende compte moi-même. Elle voyait l'empreinte Brontë en moi, cette capacité à rester plantée sur une lande venteuse à attendre que quelqu'un vienne foutre le feu à tout. C'est exactement ce qu'on fait, nous les filles qui avons quitté le navire : on reste là, debout dans le vent, à regarder brûler ce qu'on aurait dû abandonner il y a longtemps.

Je ne miserai pas trop sur notre santé mentale pour cette fin d'année.Vraiment pas.

Entre Rosalía et son orchestre philharmonique qui nous prépare quelque chose qui va forcément nous détruire émotionnellement, l'adaptation de Shelley qui nous fait questionner notre existence entière, et maintenant Charli XCX en ombre malsaine d'une Cathy Earnshaw qui, de toute façon, n'avait jamais posé un pied sur le navire. Charli, elle, elle l'a peut-être pris, le navire, juste pour y mettre le feu depuis l'intérieur. C'est encore plus Brontë que Brontë.

Je me demande parfois si toutes les grosses machines ne se réunissent pas dans une pièce pour mettre au point tout un storytelling coordonné. Genre, il y a eu The Life of A Showgirl de Taylor Swift, qui a sonné un peu comme "tenez, ceci est mon sang", avant de voir débarquer toutes les showgirls qui vont effectivement nous montrer la vie. Comme si quelqu'un avait décidé: "Ok, cette année, on leur fait le coup du miroir. On leur montre le spectacle du spectacle. Elles vont adorer se sentir intelligentes en le regardant".

Et on adore, effectivement.

Je me demande parfois si on n'a pas toutes signé pour la même illusion collective. Celle où on croit qu'on observe, alors qu'on participe. On se dit "non mais moi, je vois les ficelles", tout en rejouant exactement le même spectacle, avec la même musique dramatique et les mêmes larmes en Dolby. On like, on commente, on partage des analyses profondes sur TikTok, on décortique chaque symbole, chaque robe, chaque regard caméra, comme si on n'était pas déjà prises dans le décor. Comme si voir le truc nous en sortait.

Spoiler: ça ne nous en sort pas.

Je crois qu'on a juste changé le fond vert du romantisme pour un écran OLED. Les landes, c'est maintenant nos fils d'actualité. Heathcliff, c'est l'algorithme qui nous connaît mieux qu'on se connaît. Et on reste là, à attendre qu'il revienne, encore et encore, à nous montrer exactement ce qu'on veut voir.

C'est pas la faute des artistes. Elles font ce qu'on leur a demandé de faire : nous hypnotiser avec une vérité calibrée, belle, déchirante, parfaitement éclairée. Ce sont les prêtresses d'une religion où tout le monde veut communier, même les athées. Moi la première. Je suis là, à genoux devant l'autel de chaque nouveau clip, à attendre ma dose de transcendance en 4K.

Je veux croire que chaque sortie d'album est un signe, que chaque robe en satin est un message codé, que si je regarde assez longtemps, je verrai la faille derrière la mise en scène. La vérité brute. Le moment où l'artiste arrête de jouer.

Mais la vérité, c'est qu'on aime trop le décor pour le démonter.

On pourrait. On a tous les outils. On a les coulisses sur Instagram, les making-of sur YouTube, les interviews où elles "se livrent vraiment cette fois". On sait que c'est construit. On sait que la vulnérabilité est dirigée, que les larmes sont bien éclairées, que même la spontanéité a été répétée.

Mais on s'en fout.

Parce qu'au final, Emily Brontë aussi construisait. Elle aussi nous a fait un décor, avec ses landes et ses fantômes et son amour toxique magnifique. Et on le lit encore, 170 ans plus tard, en sachant très bien que c'est de la fiction. Que Heathcliff n'a jamais existé. Que personne ne meurt vraiment d'amour sur une lande anglaise.

Peut-être que c'est ça, l'essence de Brontë dans nos têtes de filles qui ont quitté le navire: on sait qu'on se ment, mais on continue quand même. On reste sur la lande. On regarde brûler. On attend le fantôme.

Et quand Fennell va sortir son Wuthering Heights, on ira le voir. Évidemment qu'on ira. Même si on sait déjà que ça va être beau, construit, calibré pour nous détruire juste ce qu'il faut.

Parce qu'on aime ça, être détruites par du beau.

C'est peut-être pour ça qu'on a quitté le navire, finalement. Pour pouvoir rester sur la lande.

Et regarder Charli XCX chanter avec John Cale.

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