moi, j’aurais bien aimé faire partie du book club de nabilla
C’est une phrase qui fera lever les yeux au ciel. Peut-être qu’on me jugera rien qu’à la lire. Ca tombe bien, je m'en branle.
Moi, j’aurais bien aimé faire partie du book club de Nabilla.
Et je suis clairement deg qu’elle l’ait arrêté. Même si c'en était pas vraiment un. Même si elle avait pas lu tous les livres. Même si elle confondait parfois le résumé de la 4e de couv’ avec un avis littéraire. Je sais même pas trop pourquoi ça m’a touchée. Je suis pas une fan. J’ai pas de poster d’elle dans ma chambre. Mais voilà, cette histoire de book club, ça m’a fait un petit truc. Et pas pour rire.
C'était pas une vanne. C'était pas une opération de com (ou alors, elle était bien jouée). C’était une meuf (qu’on a longtemps réduite à ses fesses, ses phrases mal calibrées et ses passages télé) qui disait: "J’ai lu un bouquin, il m’a remué, venez on en parle." Et moi, franchement, ça me suffisait.
Mais ce qui m’a vraiment gonflé, c’est ceux qui se sont foutus de sa gueule. Ceux qui ont trouvé ça ridicule, gênant, pas à sa place. Comme si lire, c’était réservé à une certaine caste. Une façon de parler. Une tenue vestimentaire. Une syntaxe correcte. Un compte Instagram bien édité avec des bougies et une tasse de thé vert à la lavande du Népal.
Mais voilà. On l’a pas laissé tranquille.
Elle a posté trois vidéos et elle s’est fait ramasser. En beauté. Les puristes, les universitaires du TikTok, les amoureux de la virgule bien placée, tout le monde s'est mis à gueuler parce que ça bousculait leur personal branling. "Ouin, elle a mis trois mois à finir l'Alchimiste alors que j'ai lu dans le ventre de ma mère". Oui. Et? J'ai fait prepa, on se refourguait des fiches de lecture des vieilles promos pour pas se faire chier à lire Proust.
Maravez-là autant de caillasses que vous voudrez, qui n'a pas lu trois lignes d'un bouquin et prétendu être transformé? Qui n'a pas posté du Annie Ernaux en story comme si ça vivait à Cergy avec une obsession pour le réel? C’est aussi ça, le rapport au livre aujourd’hui. Un jeu, du consommable, même si ça porte des jolies couvertures de maisons d'édition indé.
Mais pour Nabilla, ça passait pas. Parce que c’était Nabilla.
Et ça m'emmerde, parce que lire, ça devrait pas être un test de respectabilité.
Quand une meuf perçue comme "pas du bon milieu" s’approche de l'objet y a toujours un froncement de sourcils dans l’air. Un soupçon de sarcasme. "Ah bon? Elle lit ça?"
Comme si l’acte de lire devenait suspect à partir d’un certain niveau de gloss.
Et ça, ça dit quelque chose de moche sur nous.
On prétend que la lecture est un outil d’émancipation, grands discours de merde autour d'un rosé bon marché, mais en vrai, elle est utilisée comme une barrière invisible (et dites pas le contraire). Lire, oui, mais pas n’importe quoi. Pas n’importe comment. Et surtout, pas par n’importe qui.
Parce que lire, ça doit rester noble, discret, entre gens bien nés, bien éduqués, bien assis. On t’explique qu’il faut avoir lu les classiques, la contre culture classique, la contre culture récente qui te donne l'air profond, en entier, dans la langue d'origine, en latin dans le texte, sans le Gaffiot, en position poirier sur une main en récitant toute la biblio de David Foster Wallace pour oser parler de littérature.
C’est un truc insidieux. On t’interdit pas de lire, non. On te fait juste comprendre que tu le fais pas “comme il faut”. On se moque de tes choix. On relativise ton émotion. On t’explique, poliment mais sûrement, que ce n’est pas vraiment de la littérature. Que tu ne saisis pas la profondeur. Que tu t’emballes pour rien. Bref, on te remet à ta place.
Et dans cette place-là, t'es pas supposé toucher au livre.
T'es censé rester spectateur, pas participant.
Et ça finit par avoir des effets très concrets: tu fermes ton livre, t'en parles plus, tu te dis que c’était pas pour toi. Tu t’auto-censures.
Alors que le problème, c’était pas toi. C’était le filtre social plaqué sur ta culture, qui transforme un geste simple en acte illégitime.
Mais moi, j’aurais aimé être dans son club. Parce que ce que Nabilla a tenté, c'était précieux. Un club un peu bancal, où on lit à moitié, où on comprend de travers, où on oublie les personnages. Mais où on ose dire: « Ce livre m’a touchée », même si on sait pas trop pourquoi. Où personne ne t’humilie parce que tu ne connais pas la différence entre Balzac et Flaubert. Où on peut dire « j’ai pas tout compris » sans se faire jeter.
La vérité, c’est que ce mépris-là, il pue la classe sociale. Il pue la distinction. Ce vieux truc de Bourdieu, toujours vivant, toujours là. Ce besoin d’exclure, de trier les “vrais” des autres. La lecture comme outil de domination. Comme signe extérieur d’intelligence. Tu lis? Bravo. Mais lis bien, s’il te plaît. Lis comme il faut. Lis ce qu’on a décidé qui méritait d’être lu.
Peu importe si elle lisait Musso ou Virginie Despentes. Ce qu’elle disait entre les lignes, c’est: " On a le droit d’être concernée. On a le droit de lire, de s’émouvoir, de dire ce qu’on pense, même si on n’a pas les codes".
Et ça, dans un monde où tout est hiérarchisé, y compris les émotions, c’est politique.
Je suis triste qu’elle ait arrêté. Peut-être qu’elle a eu autre chose à faire. Peut-être qu’elle en a eu marre. Peut-être qu’elle a ressenti le mépris, celui qu’on ne dit pas trop fort mais qui colle aux murs. Et franchement, si c’est le cas, je comprends. Se heurter à ce genre de murs-là, c’est fatiguant. Ça use.
Je n’ai pas de solution magique. Je reste là, avec mon book club underground et des livres empilés sur ma machine à laver. D'Emilie Bronte à Julia Quinn en passant par Andrea Lowlor. Parce que la vie est trop courte et trop sérieuse pour qu'on s'autorise pas d'être soi avec ses propres soupapes de décompression (même si elles impliquent des bouquins de seconde zone ou du Stepheny Meyer). Tout ça pour dire que oui, son book club, il me manque un peu, même si elle me fera pas lire Colleen Hoover. Parce que c'est pas le sujet. Je crois que j'aime juste bien voir des gens aimer des trucs, et le dire. Arriver comme ils sont. Sans cadre, sans filtre. Avec la passion sous le bras, même si elle rentre pas dans les clous. Même si elle est pas parfaite. Ce moment de travers, ce truc qui cassait les lignes...
J’aurais aimé qu’on laisse une place à ça. Parce que je vois pas pourquoi ça pourrait pas cohabiter, au final. Aujourd’hui, elle parle plus de livres. Et c’est dommage. Parce qu’au fond, moi, j’aurais bien aimé qu’elle continue. Même avec des résumés foireux.
J’aimerais qu'on se rappelle que la lecture n’a jamais été faite pour flatter. C’est ce qu’elle est devenue, parfois, à force d’être accaparée. Mais à la base, c’est un truc qui fait trembler de l’intérieur. Et surtout, qui ne doit demander aucune carte d’entrée.
Et moi, dans ce club-là, franchement, j’y aurais bien trouvé ma chaise. Même sans plaid.
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