
Have the best day of your live, sweeties.
Dès les premières notes de l'album, tu sens que tu es dans quelque chose de fragile et d’extrême à la fois. Les morceaux ne se suivent pas de manière linéaire, ils se glissent dans l’espace comme des fragments d’une mémoire en vrac. Ice in My OJ, Brotherly Hate, Mirtazapine… chaque titre est une petite bombe d’intimité déguisée en chaos. La voix de Hayley se tend, se plie, se déchire, et tu as l’impression qu’elle te raconte tout et rien à la fois.
Le titre du disque est dans l'idée. L’ego qui meurt à une enterrement de vie de jeune fille: c’est ironique, drôle, presque cruel, mais en même temps terriblement triste. C’est une mise à nu de soi qui ne se fait pas dans le lyrisme ou le grandiloquent, mais dans des moments minuscules, des détails qui t’atteignent sans prévenir. Chaque chanson est un miroir brisé que tu assembles toi-même.
Il y a quelque chose de radical dans ce geste: refuser de plaire. Pas dans le sens militant ou provocateur, mais dans un sens presque intime: elle ne te vend rien, elle ne te guide pas. Elle te tend juste ses fragments, et tu dois trouver comment les assembler. Et c’est exactement ça qui rend l’expérience précieuse.
C’est un album qui te rappelle que la musique peut être un espace de dérive, un terrain d’exploration. On se perd dans la voix, dans les textures, dans les mots, et on en ressort différent. Pas meilleur, pas pire, juste un peu plus conscient de ce que ça fait de se confronter à soi-même à travers l’art d’un autre.
Et je crois que c’est ce qui reste le plus fort: la sensation qu’on est invité à un rituel secret, où la fête se transforme en veillée introspective. On rit, on pleure, on se surprend à hocher la tête sur une phrase absurde ou à se figer sur un cri strident. Tout est fragile, tout est immédiat, tout est vrai.
J’ai mis Man’s Best Friend ce matin et je me suis retrouvée à traîner dans mon appartement, à moitié assise sur le canapé, à moitié couchée, à moitié ailleurs. Le disque glisse comme de l’alcool tiède sur la peau, ça part dans une direction qu'on avait pas vraiment venu venir, comme une fille qui prend la mauvaise rue exprès, juste pour voir ce qui traîne au fond. Rien de girlboss dégoulinant d'empowerment powerpoint. Non, seulement une galerie de paradoxes assumés, une femme qui se noie dans son verre comme dans le regard des hommes, qui ricane de sa propre hypocrisie en même temps qu’elle l’embrasse.
J'ai bien aimé cette vibe pop années 70 sur la fin de soirée. Des villas californiennes remplies de réceptions où tout le monde porte des robes magnifiques avant qu'un drame invisible se produise (un meurtre ou un glaçon dans un verre de vin, on peut s'attendre à tout avec les américains). Un parfum de liberté un peu désuète, qui pue un épisode de Côte Ouest. Cet album aurait pu être écrit par Sue Ellen, ou n'importe quelle blonde à la permanente et au mini bar impeccables.
On ne reviendra pas sur la pochette: Sabrina à quatre pattes, tirée par les cheveux par un mec en costard. Sexisme crasse ou satire bien sentie? Peut-être les deux, peut-être aucun. Après l'écoute de ce disque, je me demande si c'est vraiment là que ça doit se jouer. Parce que Carpenter n’est pas en mode femme fatale qui contrôle tout. C’est une femme qui dit tout haut ce qu’elle se reproche, et qui en fait un album. Elle campe juste une héroïne paumée un peu pathétique, parfois ridicule, avec de très beaux sous vêtements et qui met son mascara comme on met un pansement sur une plaie béante.
Tu sens la femme qui boit pour oublier, qui ricane pour se protéger, qui regarde le monde en haussant les épaules et en se disant ok, je me mens un peu, et c'est drôle. Tout est fragile, tout est absurde, mais ça te parle. Il y a ce petit vertige qui te fait sourire, parce que tu reconnais cette liberté faussement brillante, ce chaos qu’on habille de paillettes, cette manière de continuer à danser alors que tout s’effondre autour de soi. C'est un portrait grinçant comme j'aime, au final, celui de la jolie blonde qui s'égare dans le reflet déformant du male gaze mais qui garde assez de lucidité pour écrire des punchlines caustiques sur ses décombres.
Peut-être que j'avais besoin d'entendre ça, pour changer un peu. L’aveu qu’on peut être à la fois victime et bourreau, consciente et hypocrite, forte et minable.
Ca n'est pas sage, ça n'est pas net, ça n'est pas clean. Et dans un paysage pop où tout le monde s’applique à être inspirant comme un TED Talk, ça fait du bien de voir quelqu’un assumer son sale bordel. Peut-être pour ça que je voulais la voir autant dans un rôle de country girl. C'est bien connu, ce genre musical est parfait pour les femmes qui veulent juste tuer des hommes.
À la fin, tu te retrouves là, avec le disque éteint, un peu plus lucide, un peu plus triste, mais contente quand même. Parce que c’est rare d’entendre quelqu’un chanter tes propres contradictions, sans essayer de les rendre jolies, ni de te faire pleurer, ni de te vendre un manifeste. Juste… toi, eux, et la fatigue.
Accepter l’incohérence comme une vérité possible. Accepter que la pop puisse être un endroit où l’on ne résout rien, où l’on se complaît juste dans l’ambiguïté.