Je me demandais ce que c’est d’être critique, aujourd’hui. J’ai pas trouvé de réponse. Enfin si: pas grand-chose. C’est un métier qui s’est fait avaler, digéré, recraché façon communiqué de presse. Tu reconnais la critique au fait qu’elle dit tout le temps que c’est « incroyable », « immanquable », « événement ». On dirait des bandeaux publicitaires qui auraient appris à taper sur un clavier.
Avant, la critique se rêvait en arbitre. Ça distribuait des étoiles comme on distribue des notes au bac. Le critique décidait si une œuvre était « importante » ou pas. Aujourd’hui, les étoiles, c’est les algorithmes qui les collent, et tout le monde se fie au compteur. Résultat: plus besoin de médiateur, plus besoin d’explication. Tu likes, tu skips, tu gueules un peu, fin de l’histoire.
Et puis, en face, t’as les artistes. Eux, bizarrement, ils n’ont jamais été aussi sérieux. Même les pop stars. Même les blockbusters. Tu croyais tomber sur trois refrains sucrés ou des explosions à la con et tu te retrouves avec des morceaux pleins de cicatrices et de doutes mal recousus. C’est pas forcément beau, mais ça existe, ça pèse, ça gratte. On est loin du slogan jeté pour vendre une bouteille de soda. Alors tu regardes le tableau: les œuvres se densifient, et la critique s’évapore. Logique inversée. Tu te dis que c’est con, parce que c’est justement maintenant qu’on aurait besoin de quelqu’un pour mettre un peu d’ordre dans tout ça, ou au moins pour foutre un peu de désordre intéressant.
Peut-être que le critique devrait juste accepter d’être le type au fond de la classe, celui qui lève la main pour dire « bof », quand tout le monde se contente d’applaudir. Pas un héros, pas un gourou. Plutôt un emmerdeur discret. Une petite voix qui dit: attends, regarde autrement. Humblement. Ou peut-être un peu plus virulent. Faut de tout pour faire un monde.
Mais le problème de la critique aujourd’hui, c’est pas seulement qu’elle a peur de faire chier. C’est plus pervers. Elle s’est persuadée qu’elle devait être cérébrale, objective, froide, diamétralement opposé à son niveau de connaissance. Alors qu’en vrai, la critique, ça a toujours été de l’émotion maitrisée. Pas du calcul. Pas du détachement. C’est un cri, un coup de cœur, un dégoût, une gêne. Ça part du ventre, pas de la tête. Un peu comme ce commentaire de texte sur un bouquin qui te fait sentir des choses en 1èreL (les littéraires qui me lisent comprendront).
Et si on ne le voit plus comme ça, c’est parce qu’on associe l’émotion à l’amateurisme. À l’idée du « fan » qui réagit trop fort, trop vite, sans recul. On a réduit ça à une réaction naïve, à un truc de meuf, aussi. Mais au fond, le critique, c’est juste ça: un fan qui a réussi. Pas réussi socialement, hein. Réussi à traduire son emballement ou son agacement en phrases qui nous font sortir de notre léthargie, peut-être même qui nous apprennent des trucs, quand on accepte l'inconfort de notre ignorance. Je crois qu'on a oublié trop vite d'aller se foutre sur la tronche, aussi. Venez vous battre, putain, comme à l'époque où on défendait notre spice girl favorite.
Alors oui, la critique est morte. Mais bon, les morts, ça revient toujours. Ça traîne, ça hante. Et peut-être que c’est ça, son rôle, aujourd’hui: hanter les œuvres, plutôt que les vendre. Et si le critique redevenait un fantôme, ce serait peut-être sa meilleure forme. Invisible, un peu encombrant, pas toujours bienvenu. Mais impossible à ignorer.
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