wuthering heights: le monstre est blanc, l'hystérique est dans sa trentaine


Je suis retombée sur Les Hauts de Hurlevent en rangeant un placard. Le livre est tombé ouvert sur la page où Cathy dit Je suis Heathcliff, et ça sentait le renfermé et le désespoir cheap. Ça m'a rappelé l'oral de français, le type qui sentait le porte-documents et le regret, qui m'avait demandé qui pourrait jouer Phèdre. Une gamine ou une meuf de cinquante ans? Je ne sais plus trop ce que j'avais répondu, pas un truc trop naze compte tenu de la note. Mais ça, on s'en fout. Parce que la question, au final, elle n'était pas si conne que ça.

Maintenant, ils refont le film. Wuthering Heights. Pour la millième fois. Margot Robbie. Jacob Elordi. Internet a immédiatement pris son visage le plus constipé pour gueuler. Trop vieille. Trop blanc. Pas dans les clous.

Sauf que le livre, justement, c'est l'histoire de gens qui ne sont pas dans les clous. Heathcliff, c'est pas une case ethnique à cocher pour se donner un gage de vertu en 2025. Dans le texte, c'est un gitan. Un mot de l'époque pour dire: chelou, pas de papier, on ne sait pas d'où il sort, ne le laissez pas près de l'argenterie. Il est décrit comme une sorte de délinquant, un garçon au teint foncé, aux origines floues. Brontë ne dit jamais clairement d'où il vient. Mais il est l'outsider. L'étranger. Différent. Bien évidemment que beaucoup d’analyses modernes y voient une figure racisée: un personnage exclu, rejeté, incompris, à la marge, avec des origines par forcément du terroir. Mais si on y réfléchit bien, est-ce que c’est si simple? Heathcliff, c’est surtout l’archétype du personnage indomptable, violent. Et là, on touche à quelque chose de glissant. Faire jouer ce rôle à tout prix par un homme racisé, est-ce inclusif… ou stéréotypé? Associer la violence, la passion incontrôlable à une couleur de peau, est-ce que ce n'est pas une manière insidieuse de reproduire des clichés racistes? En d'autres termes: utiliser un corps racisé pour incarner l'altérité, le danger, le mystère…je ne suis pas certaine que ce soit toujours une preuve de diversité. Ca peut aussi être une assignation à une fonction dramatique problématique. Et c'est là où la vision de la réalisatrice est subtile, l'air de rien: sa violence, sa rage, elle ne vient pas de sa peau. Elle vient de ce qu'on lui a fait. C'est un produit de la haine de classe. Le faire jouer par un acteur racisé, c'est juste déplacer le cliché. En prenant Elordi, un grand minet tout droit sorti d'un cauchemar new yorkais, Fennell balance: le monstre, il peut être blanc, beau, et avoir les dents parfaites. Et ça, c'est bien plus flippant.

C'est vrai, vous avez également raison. Il aurait mieux fallu éviter de caster Edgar Linton par Shazad Latif. Edgar Linton, personnage hautement bourgeois, doux, gentil, et amoureux, ne peut être représenté que par un joli blond.

Ca y est, vous commencez à percuter?

Et pour Robbie en Cathy? Tout le monde s'étrangle. Elle a plus de 30 ans, dans le livre Cathy en a dix-sept à son mariage, avant de crever dans la foulée. Elle tombe amoureuse, se perd dans une passion destructrice, puis meurt avant d’avoir vécu pleinement. Alors pourquoi lui donner les traits d’une actrice avec ce background? Certains et certaines crient à l’erreur de casting. Mais si on se demande ce que ce personnage symbolise, tout prend un autre sens. Elle n’est pas juste une ado capricieuse. Elle est une figure de la démesure, de la passion ravageuse, de la folie lucide.

Ce qui m'amène donc à la question qu'on m'avait posé au bac: les mises en scène de Phèdre, où parfois on fait jouer l’héroïne par des adolescentes à peine sorties de l’enfance ou des femmes de 50 ans. Une Phèdre très jeune, c’est l’innocence pervertie par une passion trop grande pour elle. Une Phèdre plus âgée, c’est la honte du désir qui persiste au-delà de l’âge autorisé (donc dans le trailer, quand Catherine pétrit la pâte et vous trouvez que ça a des vibes roman d'Harlequin, c'est qu'il y a peut-être une raison derrière, je vous laisse méditer là-dessus). Dans les deux cas, le corps de l’actrice devient un message en soi. Et c’est peut-être ça, le cœur du choix Margot Robbie: une Catherine mûre, ce n’est pas réaliste. Mais c’est puissant symboliquement. C’est une femme qui regarde sa passion avec recul, mais qui la vit encore comme une brûlure vive. Une Catherine plus âgée, ce n’est plus une victime de son âge, de sa fougue juvénile. C’est une femme pleinement responsable de son effondrement. Ce n’est plus une tragédie de jeunesse, mais une tragédie humaine, universelle, intemporelle. Et ça dérange. parce qu’on accepte plus facilement la folie chez les jeunes. Chez les adultes, on appelle ça "instabilité", "hystérie", "immaturité", "roman Harlequin" "misogynie intériorisée". Mais Catherine est tout ça à la fois. Et c’est pour ça qu’elle nous hante. Alors non, Margot Robbie n’est pas trop vieille pour jouer Catherine. Elle est peut-être trop vivante, trop consciente, trop incarnée.

Fennell, elle n'a pas adapté le bouquin. Elle a fait l'autopsie du fantasme. Et elle y demande: et si la passion destructrice, ça survivait à la jeunesse? Et si c'était pas une excuse liée à l'âge? Et si c'était juste humain?

Et nous, on est là à parler de la couleur de la robe et de carte d'identité. Pendant ce temps, elle, elle a peut-être fait le seul truc intelligent: nous forcer à regarder la chose en face, sans le maquillage de la nostalgie.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire