mode d'emploi hollywood: comment bien remplacer votre star défectueuse

Je ne peux m'empêcher de ruminer cette pensée, un scénario alternatif qui hante les coulisses de Hollywood: si Lindsay Lohan n’avait pas brûlé son aura dans l’enfer blafard des boîtes de nuit de Los Angeles, il n’y aurait peut-être jamais eu d’Emma Stone.

Cette idée peut sembler tirée par les cheveux, une théorie de comptoir pour cinéphiles nostalgiques. Pourtant, elle touche à une vérité crue sur le fonctionnement de l'industrie du rêve. Hollywood est une machine à fabriquer et à remplacer des archétypes. Une chaise se libère, souvent dans la douleur, et une nouvelle assise, immaculée et souriante, s'y installe sans un regard pour les cendres encore chaudes. Basta.

Avant de devenir le visage du dérapage célèbre, Lindsay Lohan était bien plus qu’une simple actrice Disney. C’était une anomalie, un phénomène. Elle possédait cette étincelle électrique, ce mélange détonant de gamine cabossée par une gloire précoce et de star née, prête à avaler l’écran tout entier. Dans Freaky Friday, elle tenait tête à Jamie Lee Curtis avec une assurance déguinglée. Dans Mean Girls, elle était la paradoxale Cady Heron, à la fois proie et prédateuse, avec une intelligence comique et une vulnérabilité qui la désignaient comme la nouvelle génération.

Elle avait tout. Le talent, le charisme à revendre, ce roux flamboyant et un sourire qui promettait autant la comédie légère que le drame intense. Elle aurait dû enchaîner sur les rôles qu’on réserve aux actrices que l’on chérit, que l’on protège, celles qui, film après film, se transforment en monuments. Elle était, en 2004, la prochaine Julia Roberts, la prochaine Sandra Bullock. La prochaine America's sweetheart, mais en version plus sauvage, plus authentique. Elle n'avait rien d'une poupée, ou peut-être que si. Une poupée cramée.

Et c’est là que le système a montré les dents. C'est que Hollywood déteste quand ça risque de lui péter à la gueule. Quand l'incandescence de la star éclaire, malgré elle, les zones d'ombre de l'usine à rêves. Alors, quand Lindsay a commencé à s'embraser sous les flashs obsédants des paparazzis, passant des plateaux de tournage aux portes des clubs, le système n'a pas cherché à l'éteindre. Il l'a jetée. Elle n'était plus rentable, trop risquée pour les assurances, trop réelle pour une industrie qui vend du faux-semblant.

Et dans l'ombre, une autre rousse attendait son heure. Emma Stone. Parfaite pour le rôle. Tout ce que Lindsay n'était plus: drôle mais jamais trop dangereuse, excentrique mais parfaitement gérable, talentueuse mais sage. Elle est arrivée au moment le plus critique, juste après le crash médiatique de Lohan, et a hérité de manière presque organique du trône laissé vacant.

Emma Stone, c'est Lindsay Lohan en version pasteurisée, aseptisée, sûre pour la consommation de masse. C'est le même archétype fondamental: la jeune femme rousse, espiègle et piquante, celle par qui le scandale (gentil) arrive, celle qu'on aime voir souffrir un peu d'amour, triompher beaucoup, et finalement briller sous les projecteurs des Oscars. Sauf que chez Emma, rien ne dépasse. Pas de photo d'identité judiciaire, pas de séjour en rehab sous les objectifs, pas de vie privée exposée comme un feuilleton sordide. Les producteurs l'adorent. Le public aussi. Elle est devenue, point par point, ce que Lindsay Lohan était destinée à être.

Je regarde Emma Stone dans Easy A, où sa présence rappelle étrangement la Cady Heron de Mean Girls. Je la regarde dans La La Land, recevoir des ovations pour son rôle de comédienne rêveuse, et je ne peux m'empêcher de voir le fantôme de Lindsay Lohan. Je vois la carrière parallèle qui n'a jamais existé, les rôles que Lindsay aurait pu incarner, les ovations qui auraient pu être les siennes. Ce sourire lumineux d'Emma Stone, on dirait parfois celui de Lindsay, recollé sur un autre visage, un visage qui n'a pas connu la même tempête.

Il ne s'agit pas de dire qu'Emma Stone a volé quoi que ce soit. Elle est une actrice immense, brillante et méritante. Non, le vrai coupable, c'est le système. Hollywood recycle tout: les scénarios, les archétypes, les espoirs déçus. Quand une étoile chute, elle est immédiatement traitée comme une ressource remplaçable. Le public, complice, applaudit la nouvelle venue et fait semblant de croire que l'ordre naturel des choses a été respecté, que c'était écrit comme ça depuis le début.

Pendant ce temps, Lindsay Lohan s'est retrouvée transformée en spectacle, son déclin personnel devenant un divertissement. Elle qui aurait dû être l'héroïne de sa propre histoire est devenue la leçon de morale, l'exemple à ne pas suivre. Et au final, la carrière lisse et couronnée de succès d'Emma Stone est la récompense qu'Hollywood s'est offerte pour avoir bien ri du naufrage d'une gamine jugée trop fragile, trop humaine.

Je n’arrive pas à trouver ça beau. Je n’arrive pas à applaudir Emma Stone sans entendre en écho les rires moqueurs et les claquements d'appareils photo qui ont accompagné la chute de Lindsay. C’est comme applaudir une doublure de génie qui joue magnifiquement son rôle sur les ruines encore fumantes d'un autre destin.

Mais d'un autre côté, est-ce qu'elle avait vraiment compris ce qu'elle représentait. Ce que le cinéma pouvait vraiment lui offrir. Parfois, les bad move de ce type sont pires qu'un mauvais trip au Château Marmont. Prenez The Canyons. Un film tellement conceptuel qu'on dirait une blague de cinéphile bourré. Schrader alignait des plans vides en parlant de néant hollywoodien. Lindsay, elle, avait juste l'air d'un fantôme qui avait oublié de disparaître.

Même topo dans I Know Who Killed Me: son jeu intense, presque convulsif, aurait pu être génial. Mais qui a envie de voir une mauvaise strip teaseuse faire un mauvais cours de philo?

Le résultat? Plus crédible ni en comédie ni en drame. Trop bizarre pour les studios, trop mainstream pour l'underground. Elle s'est retrouvée coincée dans le no man's land parfait, l'endroit où Hollywood enterre ceux qui ont essayé. On sait pas trop quoi, mais ils ont eu le malheur de le réaliser.

La vérité, c'est que le cinéma sérieux dévore parfois mieux les actrices que les pires navets. Au moins dans un mauvais film, tu peux encore être drôle. Dans un mauvais film d'auteur, tu deviens une métaphore.

Et voilà où nous en sommes aujourd'hui. D'un côté, Lindsay Lohan, résiliente, qui trouve une forme de paix et de seconde carrière dans les téléfilms de Noël, loin du tumulte hollywoodien. De l'autre, Emma Stone, consacrée, qui empile les prix dans les festivals les plus prestigieux. Deux destins diamétralement opposés, mais inextricablement liés, comme les deux faces d'une même pièce truquée.

Hollywood adore mettre en scène des récits de rédemption. Mais ce qu'il aime encore plus, c'est la mécanique: remplacer les corps usés, les esprits fatigués, par d'autres, plus neufs, plus dociles, plus prévisibles. Lindsay Lohan a été, d'une certaine manière, sacrifiée sur l'autel de la rentabilité et de l'image. Et Emma Stone a été couronnée. Pas nécessairement parce qu'elle était plus talentueuse, mais parce qu'elle était là, au bon moment, prête à incarner cet archétype, sans en reproduire les défauts.

Et ça, c’est le truc désagréable, le truc qui se cache derrière la magie, et que l'on préfère ne pas regarder en face, de peur de voir le rêve se dissoudre dans la froide logique du star system.






Parce qu'on aura jamais assez de photos de Lindsay Lohan à regarder.

baby, I'm not (a werewolf)



Parfois, la vie se suffit à elle-même avec un Yogi Tea goût caramel salé et un épisode de Selling Sunset (j'adore la Californie, les blondes décolorées et l'immobilier de luxe). Je me disais ça ce matin en me levant, en buvant mon Yogi Tea et en pensant que je rêverais d'avoir les faux cheveux de Christine Quinn. 

Sinon, écoutez le nouveau Neko Case. Il est parfait pour une fin de septembre réussie.

make a scene, break a leg

 

Je ne sais pas ce que je suis en train de faire mais je trouve que je le fais particulièrement bien. Peut-être que c’est ça, le vrai talent: réussir à improviser en donnant l’impression qu’il y a un plan. Comme un tag sur un mur, ça ressemble à du vandalisme mais en fait c’est de l’art conceptuel.

Un peu fatiguée, je crois que j'ai une crève qui monte. J'ai commencé The Girlfriend parce que Olivia Cooke et j'ai terminé Paul prend la forme d'une fille mortelle d'Andrea Lawlor (qui est clairement mon livre de la rentrée) (avec Toutes les vies de Rebeka Warrior).
Ces livres me tiennent compagnie d’une façon bizarre, comme des voix qui parlent plus fort que moi dans ma propre tête. Pas des lectures sages ou polies, mais des choses qui secouent, qui laissent des traces. 

J'ai une pile de disques à écouter. J'ai bien aimé celui de Mark William Lewis et Maruja. Liquid Mike aussi. Juste parce que j'aime être une ado attardée. Je devrais reprendre certains de mes projets mais je n'ai absolument aucune once de productivité. J'ai zoné toute la matinée, scrollé comme un zombie, et à la fin je n’ai même pas retenu une image. Juste la sensation d’avoir perdu du temps que je n’avais déjà pas.

Mon frigo est vide mais je n’ai pas envie de sortir. J’ai encore une tasse avec un vieux sachet de thé qui traine et qui me regarde comme un animal mort.

Je pourrais écrire. Je pourrais peindre. Je pourrais ranger. Mais je préfère me dire que je le ferai demain, juste pour prolonger cette espèce d’inertie qui devient presque confortable. Comme si la loose m’offrait une excuse esthétique.

you've got a fetish for my love

 

Je me rends compte que ça faisait longtemps que je n'avais pas fait de listes et c'est terriblement indigne de moi. Parce qu'il fait moche et que j'ai pas envie de zoner sur un énième visionnage de Only Murders in The Building, voici les trucs dont je n'ai absolument rien à foutre.

1. Ne pas me parler pendant un an sans raison apparente, puis revenir comme si de rien n'était. Be my guest, rien à branler. Chacun a sa vie et ses merdes. Peut-être que la personne avait besoin de gérer ça seule, de prendre du recul, de s'enfermer dans un monastère. Vraiment, j'estime qu'on a pas de comptes à me rendre.

2. L'avis des autres. Même en essayant de m'enfermer là-dedans, j'y arrive pas. Tu m'aimes pas. Super. Je m'en cogne. Et tu sais pourquoi? Parce qu'il y a de grandes chances que je ne te calcule même pas. C'est pas pour rien que j'évite toujours au travail d'en dire trop sur ma vie ou de regarder les photos des chiards de mes collègues. Vous n'êtes pas ma famille, vous n'êtes pas mes amis. Je te dis bonjour le matin et je signe tous mes emails par "Bien à toi". Estime-toi heureux.

3. Avoir l'air d'un mort-vivant le matin parce que je n'aime pas porter de maquillage. J'aime mes cernes. C'est tout. J'aime mes cheveux décoiffés. J'aime mon côté négligé contrôlé.

4. Suivre les tendances? Rien à foutre. Mon combat de vie. Je veux juste être confortable dans un pantalon de jogging et un tshirt troué. J'irais à n'importe quel date en pantalon de jogging et tshirt troué. Je participerais à Love is Blind en pantalon de jogging et thsirt troué. J'irais sur ta putain de plage paradisiaque en pantalon de jogging et thsirt troué.

5. Je suis bordélique. Rien à faire que cette bibliothèque déborde avec de vieilles factures et des courriers pas ouverts. Je suis le vieux qui vide un gobelet rempli de vis pour t'y servir un whiskey et qui construit un bateau dans sa cave depuis vingt cinq ans.

6. Etre heureuse. Je veux qu'on arrête avec ça. Non, on ne peut pas être sans arrêt bien dans sa tête et oui on a le droit de foutre sur pause. Je pense qu'on irait mieux collectivement si on arrêtait de faire semblant.

7. Les débats stériles sur la "vraie" manière de faire les choses. La guerre du pain au chocolat / chocolatine, la position correcte du rouleau de papier toilette, l'ananas sur la pizza... Rien à foutre. Mettez de l'ananas sur votre steak-frites si ça vous chante. C'est pas moi qui vais le bouffer de toute façon.

8. La pression d'avoir un avis sur tout, tout le temps. Y a des moments, j'ai juste pas d'avis. J'accepte d'être juste con face à quelque chose,...ou de m'en foutre.

9. Spoiler: je me fiche de tes exs donc ne m'en parle pas. Oui, tu as « servi ». Oui, tu n’es plus vierge. Oui, parfois t’as été un gros con. En vrai, j’ai aussi été une pute. Et alors? Arrêtons le stalking, gardons nos archives. On se rendra bien assez compte qu'on est fucked up.

vice est mort, et on lit encore sa nécro tous les matins


Je suis tombée sur Vice is Broke, le docu qui démonte le mytho derrière l'effondrement du empire médiatique le plus hype des années 2010. Et franchement, tout le monde se focalise sur les dettes, les plans sociaux, Shane Smith qui se roule dans la coke et les dollars. Le vrai sujet, il est là: Vice n'a jamais été un média. C'était une centrale à subculture washing.

Leur business model? Extraire. Trouver un coin du monde qui a encore l'air sale, brut, real, une favela, un squat, un champ de bataille, une scène queer underground, le passer au tamis de leur esthétique aseptisée, et le revendre comme un produit de luxe déglingué. Un McDo du désenchantement, avec sauce gonzo et frites au cynisme.

T’avais un reportage sur les punks à Manille ou un docu sur la techno à Berghain? Même merde. Même filtre couleur sépia délavé. Même bande-son d’électro low cost qui te gave d’angoisse fashion. Même journaliste blanc, un peu perdu, un peu too cool for school, qui te regarde comme si lui et toi étiez au-dessus de tout ça. Ils n'ont pas raconté des histoires: ils ont plaqué une marque sur le réel. La contre-culture est devenue un moodboard. Une ressource naturelle, comme le pétrole ou le diamant. Sauf qu’eux, ils vendaient l’idée de authenticité.

Et on est tous tombés dans le panneau. Parce qu’à l’ère du tout-numérique, avoir l’air rebelle, ça compte plus que de l’être. Vice a compris avant tout le monde que la jeunesse ne voulait pas de révolution, elle voulait du contenu porteur de sens, capable de remplir un feed Instagram et un vide existentiel en même temps.

Les marques se sont jetées dessus. Branded content: mettre le logo de sa bière ou de sa fringue sur un reportage qui a l’air grassroots, underground, un peu dangereux. S’offrir un peu de crédibilité street en sponsorisant de la rébellion pré-packagée. Vice était le parfait intermédiaire: il fournissait l’esthétique du risque sans le risque. L’émotion sans les conséquences. Ils vendaient du safari en territoire interdit, avec accès VIP et cocktail en terrasse.

C’est ça, le cynisme derrière l’empire Vice: une bande de jeunes créateurs idéalistes, et aussi un peu cons, gavés au boys club primaire, qui se pensaient au-dessus du monde parce que les réseaux sociaux leur renvoyaient ce reflet en permanence. Ils confondaient la contre-culture avec leur nombril, persuadés d’en être les dépositaires exclusifs. Snobs, enfermés dans leur personal branling, ils vendaient leur supériorité comme un produit dérivé, alors qu'ils étaient poussés à produire un volume constant de contenu "choc" et viral, souvent dans des conditions précaires. Ils étaient le rouage bien huilé d'une direction qui engrangeait des millions lors de levées de fonds records et vivait dans une opulence ostentatoire, tout en continuant à promettre une "révolution médiatique" à laquelle ils croyaient, comme des gosses devant un matin de Noël.

Leur chute était inévitable. Pas à cause de mauvais choix financiers. Mais parce que le cool ne s’industrialise pas. Dès que tu le mets à la chaine, il meurt. Leur esthétique a fini par être tellement copiée, tellement recognisable, tellement mainstream, qu’elle a perdu toute valeur. Le public a commencé à voir les ficelles. Les cordes, même.

Et c’est ça, la leçon ultime. Vice n’a pas trahi la contre-culture: il en a été le stade ultime, le produit le plus abouti et le plus triste. Celui qui croit pouvoir vendre de la marge sans comprendre que dès que tu la vends, elle cesse d’en être.

Ils se sont crus plus malins que le système. Mais le système les a bouffés, comme il bouffe tout. La seule différence, c’est qu’il portait des Doc Martens et un carnet Moleskine.

Après, je suis une hypocrite. Une enfant millennial cringe de mon époque. Vice est un cadavre en putréfaction qui bouge encore, et je continue de le lire. Peut-être parce que ça reste le seul endroit qui me fait l’effet d’un chocolat chaud et d’un rail de coke sous un plaid d’automne. La douceur toxique d’une culture qu’on a tordu, mais qui reste quand même la maison. Le contenu est encore plus aseptisé (parce qu'il faut bien bouffer), perdu entre le pire de Seventeen et la liste de course d'un dealer, mais on y reste, un peu par habitude, mais quand même un peu par sentimentalisme niais.

La vérité, c’est que Vice n’a pas été enterré: il s’est dissous en nous. On continue de scroller comme des junkies qui savent que la came est coupée.

wuthering heights: le monstre est blanc, l'hystérique est dans sa trentaine


Je suis retombée sur Les Hauts de Hurlevent en rangeant un placard. Le livre est tombé ouvert sur la page où Cathy dit Je suis Heathcliff, et ça sentait le renfermé et le désespoir cheap. Ça m'a rappelé l'oral de français, le type qui sentait le porte-documents et le regret, qui m'avait demandé qui pourrait jouer Phèdre. Une gamine ou une meuf de cinquante ans? Je ne sais plus trop ce que j'avais répondu, pas un truc trop naze compte tenu de la note. Mais ça, on s'en fout. Parce que la question, au final, elle n'était pas si conne que ça.

Maintenant, ils refont le film. Wuthering Heights. Pour la millième fois. Margot Robbie. Jacob Elordi. Internet a immédiatement pris son visage le plus constipé pour gueuler. Trop vieille. Trop blanc. Pas dans les clous.

Sauf que le livre, justement, c'est l'histoire de gens qui ne sont pas dans les clous. Heathcliff, c'est pas une case ethnique à cocher pour se donner un gage de vertu en 2025. Dans le texte, c'est un gitan. Un mot de l'époque pour dire: chelou, pas de papier, on ne sait pas d'où il sort, ne le laissez pas près de l'argenterie. Il est décrit comme une sorte de délinquant, un garçon au teint foncé, aux origines floues. Brontë ne dit jamais clairement d'où il vient. Mais il est l'outsider. L'étranger. Différent. Bien évidemment que beaucoup d’analyses modernes y voient une figure racisée: un personnage exclu, rejeté, incompris, à la marge, avec des origines par forcément du terroir. Mais si on y réfléchit bien, est-ce que c’est si simple? Heathcliff, c’est surtout l’archétype du personnage indomptable, violent. Et là, on touche à quelque chose de glissant. Faire jouer ce rôle à tout prix par un homme racisé, est-ce inclusif… ou stéréotypé? Associer la violence, la passion incontrôlable à une couleur de peau, est-ce que ce n'est pas une manière insidieuse de reproduire des clichés racistes? En d'autres termes: utiliser un corps racisé pour incarner l'altérité, le danger, le mystère…je ne suis pas certaine que ce soit toujours une preuve de diversité. Ca peut aussi être une assignation à une fonction dramatique problématique. Et c'est là où la vision de la réalisatrice est subtile, l'air de rien: sa violence, sa rage, elle ne vient pas de sa peau. Elle vient de ce qu'on lui a fait. C'est un produit de la haine de classe. Le faire jouer par un acteur racisé, c'est juste déplacer le cliché. En prenant Elordi, un grand minet tout droit sorti d'un cauchemar new yorkais, Fennell balance: le monstre, il peut être blanc, beau, et avoir les dents parfaites. Et ça, c'est bien plus flippant.

C'est vrai, vous avez également raison. Il aurait mieux fallu éviter de caster Edgar Linton par Shazad Latif. Edgar Linton, personnage hautement bourgeois, doux, gentil, et amoureux, ne peut être représenté que par un joli blond.

Ca y est, vous commencez à percuter?

Et pour Robbie en Cathy? Tout le monde s'étrangle. Elle a plus de 30 ans, dans le livre Cathy en a dix-sept à son mariage, avant de crever dans la foulée. Elle tombe amoureuse, se perd dans une passion destructrice, puis meurt avant d’avoir vécu pleinement. Alors pourquoi lui donner les traits d’une actrice avec ce background? Certains et certaines crient à l’erreur de casting. Mais si on se demande ce que ce personnage symbolise, tout prend un autre sens. Elle n’est pas juste une ado capricieuse. Elle est une figure de la démesure, de la passion ravageuse, de la folie lucide.

Ce qui m'amène donc à la question qu'on m'avait posé au bac: les mises en scène de Phèdre, où parfois on fait jouer l’héroïne par des adolescentes à peine sorties de l’enfance ou des femmes de 50 ans. Une Phèdre très jeune, c’est l’innocence pervertie par une passion trop grande pour elle. Une Phèdre plus âgée, c’est la honte du désir qui persiste au-delà de l’âge autorisé (donc dans le trailer, quand Catherine pétrit la pâte et vous trouvez que ça a des vibes roman d'Harlequin, c'est qu'il y a peut-être une raison derrière, je vous laisse méditer là-dessus). Dans les deux cas, le corps de l’actrice devient un message en soi. Et c’est peut-être ça, le cœur du choix Margot Robbie: une Catherine mûre, ce n’est pas réaliste. Mais c’est puissant symboliquement. C’est une femme qui regarde sa passion avec recul, mais qui la vit encore comme une brûlure vive. Une Catherine plus âgée, ce n’est plus une victime de son âge, de sa fougue juvénile. C’est une femme pleinement responsable de son effondrement. Ce n’est plus une tragédie de jeunesse, mais une tragédie humaine, universelle, intemporelle. Et ça dérange. parce qu’on accepte plus facilement la folie chez les jeunes. Chez les adultes, on appelle ça "instabilité", "hystérie", "immaturité", "roman Harlequin" "misogynie intériorisée". Mais Catherine est tout ça à la fois. Et c’est pour ça qu’elle nous hante. Alors non, Margot Robbie n’est pas trop vieille pour jouer Catherine. Elle est peut-être trop vivante, trop consciente, trop incarnée.

Fennell, elle n'a pas adapté le bouquin. Elle a fait l'autopsie du fantasme. Et elle y demande: et si la passion destructrice, ça survivait à la jeunesse? Et si c'était pas une excuse liée à l'âge? Et si c'était juste humain?

Et nous, on est là à parler de la couleur de la robe et de carte d'identité. Pendant ce temps, elle, elle a peut-être fait le seul truc intelligent: nous forcer à regarder la chose en face, sans le maquillage de la nostalgie.

love in a trashcan


Je sais pas si c'est parce que je remets absolument toute ma vie en question, mais je repense beaucoup à mon ancienne boss qui me disait qu'elle ne sentait pas que je faisais ce boulot par passion. Parce que ma passion, pour elle, c'était l'écriture. C'est un truc con mais je pense qu'on prend toujours le problème à l'envers. Comme si la passion était le moteur. Comme si la passion, c'était l'état naturel du business.

Quand j’écris par passion, je n’écris pas pour la vitrine. Je n’ai pas de costume, pas de mise en scène. J’écris comme on rature un journal intime, comme on se parle toute seule à trois heures du matin, quand il n’y a plus personne pour applaudir ou corriger. C’est brut, parfois bancal, souvent trop. Et c’est justement ça qui fait que ça respire.

Écrire comme métier, c’est autre chose. Là, il y a un cadre, des attentes, des deadlines, un chèque à la fin (si tout va bien). On polit les phrases, on arrondit les angles, on construit pour être compris. C’est pas forcément moins sincère, mais c’est une autre partition. Plus de distance, plus de maîtrise. Le texte doit tenir debout sans béquilles personnelles. C’est un travail d’artisan, avec ses outils et ses règles. Ça ne veut pas dire que c’est moins vrai, ça veut dire que c’est pensé pour l’autre. Pour être lu, compris, digéré. Pour avoir une portée au-delà de moi. Dans ces moments, faut l'admettre, ça n'est jamais par passion. Dorothy Parker le disait: Je n'aime pas écrire, j'aime quand j'ai écrit.

Je pense que c'est pour ça que j'ai arrêté. De rendre l'écriture comme un travail. Parce que je finissais par ne plus l'aimer. La passion n'était plus là. C’est là qu’on confond tout. On pense que parce qu’on sait écrire, on peut tout écrire. Mais non. Il y a une différence énorme entre l'ado qui note ses états d’âme dans un carnet taché de café, et le critique qui rend un papier calibré à 6 000 signes sur la dernière expo. Les deux ont une valeur, mais pas la même fonction. Le journal intime n’a pas de comptes à rendre. Le papier publié, si.

your face don't look like before it's really not like yours anymore


J’ai passé la journée d'hier à essayer de faire semblant que tout allait bien, alors que tout ce que j’avais envie de faire c’était dormir comme une adolescente en grève de croissance. Mais paraît que quand on a un âge respectable (coucou les 30+), ça s’appelle fatigue chronique et pas grasse mat’ légitime. La vie est injuste.

En vrai, septembre me fait toujours un peu peur, même si j'aime beaucoup ce mois (les couleurs d'automne, ma passion). C’est ce mois bâtard entre la nostalgie de l’été (même si l’été a été nul) et l’angoisse de "ok, maintenant il va falloir faire quelque chose de ta vie". Spoiler: ce quelque chose, c’est souvent refaire trois fois la même liste de choses à faire et ne jamais la suivre.

J’essaie de me rassurer en me disant que tout le monde rame un peu. Que personne n’a vraiment la recette. Même ceux qui posent en stories avec leur latte matcha et leur nouveau bullet journal. Moi j’ai un vieux carnet à spirales et un stylo qui fuit, et franchement, ça me suffit.

En attendant, je continue d’écouter mes groupes tristes préférés (on dirait que la mélancolie en fond sonore, ça colle mieux à ma peau que le sérum anti-âge acheté un peu trop cher). Et j’essaie de me dire que rien, c’est déjà pas si mal.

you're doing amazing sweetie

 

1er septembre. Je réalise que je n'ai pas parlé des fiançailles de Taylor Swift. C'est pas que beaucoup de choses se sont passées en août, mais un peu quand même. Disons que j'ai soufflé. On ne réalise pas le bien que ça procure de zoneyour en jogging dans des parcs et d'installer chez soi un écran avec la vidéo en boucle de Kris Jenner qui hurle à Kylie YOU'RE DOING AMAZING SWEETIE (love a supportative mother here). Ca m'a aussi bizarrement fait du bien de voir que des gens continuent de venir malgré tout ici alors que j'ai peu updaté ces dernières semaines. Vous êtes mes fantômes favoris (par contre, pour la personne qui semble passer ses nuits sur mon blog, parce que oui, je te vois, VA DORMIR) (tu me liras la journée dans les transports en commun) (ou dans ton jardin, avec un London Fog).

A part ça, je commence ma thérapie dans quinze jours, ce qui me rassure et m'angoisse un peu à la fois. D'habitude, c'était moi qui portait le regard de merde qu'il fallait sur ma gueule. C'était acceptable, tolérable de ma part. Là, je sais pas vraiment à quoi m'attendre. Peut-être qu'il va me sortir que je suis la pire personne au monde, et je vais lui jeter un cendrier dans la tronche. Ou peut-être que je vais juste me mettre à pleurer. Ou peut-être rien. Ca, ça me ressemble bien, rien. 

En attendant, j'écoute le nouveau disque de Sir Chloe. Si vous aimez la dépression et la désillusion. Et Water From You Eyes. Toujours Water From Your Eyes. Faudrait vraiment que je me mette à jour, j'ai des mois de retard niveau sortie. J'en ferai peut-être une note, tiens.

i love the world today



Je me suis réveillée en repensant à cette nana qui disait: vis chaque journée comme si c'était la meilleure de ta vie. Donc je pense que je vais cramer ma gueule de sourires en préparant mes pancakes, aller me balader en forêt comme si c'était San Francisco, écrire comme si je préparais ma future interview par Dua Lipa pour Service95 et acheter des casquettes américaines dans cette nouvelle fripe qui a ouvert récemment comme si c'était Abercrombie & Fitch.

Have the best day of your live, sweeties.

ego death at a bachelorette party, ou se perdre pour se retrouver


Je me suis assise avec Ego Death at a Bachelorette Party, et ça m’a pris un peu par surprise. Pas parce que je ne savais pas à quoi m’attendre, mais parce que c’est exactement le genre d’album qui refuse d’être attendu. Tout d’abord, la sortie: aucun tambour, aucune trompette. On pourrait presque l’avoir ratée, si on n’avait pas traîné sur le site de Good Dye Young. Alors d'accord, c'est le merch d'Hayley Williams pour les cheveux, mais ça sort tellement de nulle part que j'ai bien aimé la démarche. Se dire que si on veut que sa musique touche, faut qu'elle passe par des produits de beauté. Toute une symbolique. Un peu comme le jouet d'un Happy Meal dans les années 90.

Dès les premières notes de l'album, tu sens que tu es dans quelque chose de fragile et d’extrême à la fois. Les morceaux ne se suivent pas de manière linéaire, ils se glissent dans l’espace comme des fragments d’une mémoire en vrac. Ice in My OJ, Brotherly Hate, Mirtazapine… chaque titre est une petite bombe d’intimité déguisée en chaos. La voix de Hayley se tend, se plie, se déchire, et tu as l’impression qu’elle te raconte tout et rien à la fois.

Le titre du disque est dans l'idée. L’ego qui meurt à une enterrement de vie de jeune fille: c’est ironique, drôle, presque cruel, mais en même temps terriblement triste. C’est une mise à nu de soi qui ne se fait pas dans le lyrisme ou le grandiloquent, mais dans des moments minuscules, des détails qui t’atteignent sans prévenir. Chaque chanson est un miroir brisé que tu assembles toi-même.

Il y a quelque chose de radical dans ce geste: refuser de plaire. Pas dans le sens militant ou provocateur, mais dans un sens presque intime: elle ne te vend rien, elle ne te guide pas. Elle te tend juste ses fragments, et tu dois trouver comment les assembler. Et c’est exactement ça qui rend l’expérience précieuse.

C’est un album qui te rappelle que la musique peut être un espace de dérive, un terrain d’exploration. On se perd dans la voix, dans les textures, dans les mots, et on en ressort différent. Pas meilleur, pas pire, juste un peu plus conscient de ce que ça fait de se confronter à soi-même à travers l’art d’un autre.

Et je crois que c’est ce qui reste le plus fort: la sensation qu’on est invité à un rituel secret, où la fête se transforme en veillée introspective. On rit, on pleure, on se surprend à hocher la tête sur une phrase absurde ou à se figer sur un cri strident. Tout est fragile, tout est immédiat, tout est vrai.