music music music

J'ai beaucoup trop écrit ces derniers jours. Revenons aux basiques avec des vidéos live.







bien évidemment qu'on les a oubliées exprès


Y a quand même un truc qu'on a fini par se voir à force de se taper les mêmes couvertures, les mêmes anthologies, les mêmes classements de fin d’année: les mecs, eux, ne disparaissent jamais.

Lynch, pas besoin de le ressortir. Il ne sera jamais oublié. Pas besoin de réhabiliter non plus Tarantino, il n’a jamais été évacué. Il squatte depuis trente ans partout où a peut squatter. Comme des meubles moisis qu’on n’ose pas jeter de peur qu'il se désintègre. Chaque sortie d’album d’un type vaguement culte devient un événement capital, Chaque film vu et revu une raison de pondre trois heures d’analyse. Chaque peintre mort depuis un siècle mérite soudain une expo "révolutionnaire".

Pendant ce temps, les femmes, même celles qu’on a applaudies, finissent par faire chier. Juste parce qu'un jour, on a décidé qu'on a avait fait le tour.

Et là, c'est le le cirque de la la redécouverte.

Tous les dix ans, on déterre une meuf qu’on a nous-même enterrée vivante. Une cinéaste qu’on avait saluée une fois pour une oeuvre "coup de poing" puis ignorée. Une autrice qu’on avait citée dans un tweet avant de la reléguer aux marges. Pour finalement un jour, se branler collectivement sur la dite oeuvre, sur le dit moment : “Mais c’était génial, pourquoi on a arrêté de parler d’elle ?” Spoiler: on n’a pas oublié. On a effacée. Délibérément.

C’est comme si, dans l’imaginaire critique, chaque femme artiste avait droit à une seule fenêtre. Un seul moment où elle est "dans l'air", “essentielle”, “à suivre”. Après, poubelle. Et si elle a de la chance, on consent quand même à la résumer à trois clichés.

Quand une femme réussit, on la convertit en sujet. Et les sujets, ça se consomme vite. Une fois qu’on a fait l’article sur son style, ses thèmes (et sa bio wikipedia, surtout sa bio wikipedia), c’est bon, le contrat est rempli. Devenue "représentante d'une époque", on peut la ranger là, sur l'étagère poussiéreuse à moitié broyée. Personne n'ira regarder.

Les critiques, majoritairement des mecs, ou des femmes formatées par leur regard, voient les artistes femmes comme des anomalies. Des trucs qui surgissent, pas des forces qui durent. Faut qu’elles soient neuves, "fraîches", "singulières". Dès qu’elles insistent, elles lassent. Dès qu’elles creusent, on les trouve répétitives. Dès qu’elles s’installent, on les dégage.

On va pas se mentir, les artistes hommes sont des galaxies: on peut orbiter autour d’eux jusqu'à en dégueuler. On les lit et relit à travers mille angles, même les plus merdiques. Et leurs œuvres mineures deviennent “sous-estimées”, “visionnaires”, “en avance sur leur temps”. On ne les commente pas, on les sacralise.

Mais les femmes, c'est autre chose. La critique est statique. Résumée. Unidirectionnelle. Et souvent condescendante. Quoi qu'elles fassent, elles sont toujours perdantes.

Soit on les réduit à leur esthétique (pastel, doux, poétique, intime), soit à leur fonction politique (engagée, féministe, intersectionnelle), soit à leur narration personnelle (enfance, famille, trauma). Leur complexité dérange, leur ambiguïté fatigue. Et si elles échappent aux cases, on les traite d’"illisibles" ou d’"hermétiques", là où un mec, lui, serait "mystérieux" ou "subversif".

C'est que les circuits de la mémoire culturelle, ceux qui organisent la reconnaissance à long terme, sont calibrés par des hommes, pour des hommes. La critique universitaire, les rédactions, les programmateurs de festivals, les conservateurs de musée, les jurys de prix, les réalisateurs: majoritairement masculins, ou alignés avec un canon qui l’est.

C’est ce qui fait que le nom d’un homme revient comme une évidence, même s’il a cessé de dire quelque chose. Et qu’une femme, même brillante, doit toujours justifier son retour. Elle ne revient jamais d’elle-même. Il faut la réintroduire. La re-contextualiser. Comme si sa disparition était naturelle. 

Non, ce n’est pas de la négligence. Ce n’est pas un oubli étourdi. C’est une stratégie de conservation du pouvoir.

Ne pas entretenir la mémoire des artistes femmes, c’est un moyen de s’assurer qu’elles n’occupent jamais une place structurelle. Qu’elles ne deviennent pas des références. Qu’elles ne fassent pas école. Qu’elles ne produisent pas de filiation. Parce que c’est ça, le vrai enjeu: une femme qui inspire d’autres femmes, ça devient une menace systémique.

Alors on la rend invisible. On la célèbre une fois, puis on la tait. On attend qu’elle crève pour qu'on lui ponde une petite rétro bien sage, une fois de temps en temps. Quand on consent à se souvenir.

Les femmes artistes ne sont pas oubliées. Elles sont effacées, invisibilisées, neutralisées.

On leur refourgue place temporaire dans le récit culturel, à condition qu’elles ne s’y installent pas. On accepte leur génie, à condition qu’il reste périphérique. On aime leurs œuvres, à condition de ne pas devoir les intégrer dans le canon.

Alors on joue à les "redécouvrir" tous les dix ans.
Mais ce qu’on redécouvre, à chaque fois, c’est notre propre complaisance à les laisser disparaître.

(Bruit de clope écrasée, fin de la diatribe.)

moi, j’aurais bien aimé faire partie du book club de nabilla


C’est une phrase qui fera lever les yeux au ciel. Peut-être qu’on me jugera rien qu’à la lire. Ca tombe bien, je m'en branle.

Moi, j’aurais bien aimé faire partie du book club de Nabilla.


Et je suis clairement deg qu’elle l’ait arrêté. Même si c'en était pas vraiment un. Même si elle avait pas lu tous les livres. Même si elle confondait parfois le résumé de la 4e de couv’ avec un avis littéraire. Je sais même pas trop pourquoi ça m’a touchée. Je suis pas une fan. J’ai pas de poster d’elle dans ma chambre. Mais voilà, cette histoire de book club, ça m’a fait un petit truc. Et pas pour rire.

C'était pas une vanne. C'était pas une opération de com (ou alors, elle était bien jouée). C’était une meuf (qu’on a longtemps réduite à ses fesses, ses phrases mal calibrées et ses passages télé) qui disait: "J’ai lu un bouquin, il m’a remué, venez on en parle." Et moi, franchement, ça me suffisait.

Mais ce qui m’a vraiment gonflé, c’est ceux qui se sont foutus de sa gueule. Ceux qui ont trouvé ça ridicule, gênant, pas à sa place. Comme si lire, c’était réservé à une certaine caste. Une façon de parler. Une tenue vestimentaire. Une syntaxe correcte. Un compte Instagram bien édité avec des bougies et une tasse de thé vert à la lavande du Népal.

Mais voilà. On l’a pas laissé tranquille.

Elle a posté trois vidéos et elle s’est fait ramasser. En beauté. Les puristes, les universitaires du TikTok, les amoureux de la virgule bien placée, tout le monde s'est mis à gueuler parce que ça bousculait leur personal branling. "Ouin, elle a mis trois mois à finir l'Alchimiste alors que j'ai lu dans le ventre de ma mère". Oui. Et? J'ai fait prepa, on se refourguait des fiches de lecture des vieilles promos pour pas se faire chier à lire Proust.

Maravez-là autant de caillasses que vous voudrez, qui n'a pas lu trois lignes d'un bouquin et prétendu être transformé?  Qui n'a pas posté du Annie Ernaux en story comme si ça vivait à Cergy avec une obsession pour le réel? C’est aussi ça, le rapport au livre aujourd’hui. Un jeu, du consommable, même si ça porte des jolies couvertures de maisons d'édition indé.

Mais pour Nabilla, ça passait pas. Parce que c’était Nabilla. 

Et ça m'emmerde, parce que lire, ça devrait pas être un test de respectabilité.

Quand une meuf perçue comme "pas du bon milieu" s’approche de l'objet y a toujours un froncement de sourcils dans l’air. Un soupçon de sarcasme. "Ah bon? Elle lit ça?"

Comme si l’acte de lire devenait suspect à partir d’un certain niveau de gloss.

Et ça, ça dit quelque chose de moche sur nous.

On prétend que la lecture est un outil d’émancipation, grands discours de merde autour d'un rosé bon marché, mais en vrai, elle est utilisée comme une barrière invisible (et dites pas le contraire). Lire, oui, mais pas n’importe quoi. Pas n’importe comment. Et surtout, pas par n’importe qui.

Parce que lire, ça doit rester noble, discret, entre gens bien nés, bien éduqués, bien assis. On t’explique qu’il faut avoir lu les classiques, la contre culture classique, la contre culture récente qui te donne l'air profond, en entier, dans la langue d'origine, en latin dans le texte, sans le Gaffiot, en position poirier sur une main en récitant toute la biblio de David Foster Wallace pour oser parler de littérature.

C’est un truc insidieux. On t’interdit pas de lire, non. On te fait juste comprendre que tu le fais pas “comme il faut”. On se moque de tes choix. On relativise ton émotion. On t’explique, poliment mais sûrement, que ce n’est pas vraiment de la littérature. Que tu ne saisis pas la profondeur. Que tu t’emballes pour rien. Bref, on te remet à ta place.

Et dans cette place-là, t'es pas supposé toucher au livre.

T'es censé rester spectateur, pas participant.

Et ça finit par avoir des effets très concrets: tu fermes ton livre, t'en parles plus, tu te dis que c’était pas pour toi. Tu t’auto-censures.

Alors que le problème, c’était pas toi. C’était le filtre social plaqué sur ta culture, qui transforme un geste simple en acte illégitime.

Mais moi, j’aurais aimé être dans son club. Parce que ce que Nabilla a tenté, c'était précieux. Un club un peu bancal, où on lit à moitié, où on comprend de travers, où on oublie les personnages. Mais où on ose dire: « Ce livre m’a touchée », même si on sait pas trop pourquoi. Où personne ne t’humilie parce que tu ne connais pas la différence entre Balzac et Flaubert. Où on peut dire « j’ai pas tout compris » sans se faire jeter.

La vérité, c’est que ce mépris-là, il pue la classe sociale. Il pue la distinction. Ce vieux truc de Bourdieu, toujours vivant, toujours là. Ce besoin d’exclure, de trier les “vrais” des autres. La lecture comme outil de domination. Comme signe extérieur d’intelligence. Tu lis? Bravo. Mais lis bien, s’il te plaît. Lis comme il faut. Lis ce qu’on a décidé qui méritait d’être lu.

Peu importe si elle lisait Musso ou Virginie Despentes. Ce qu’elle disait entre les lignes, c’est: " On a le droit d’être concernée. On a le droit de lire, de s’émouvoir, de dire ce qu’on pense, même si on n’a pas les codes".

Et ça, dans un monde où tout est hiérarchisé, y compris les émotions, c’est politique.

Je suis triste qu’elle ait arrêté. Peut-être qu’elle a eu autre chose à faire. Peut-être qu’elle en a eu marre. Peut-être qu’elle a ressenti le mépris, celui qu’on ne dit pas trop fort mais qui colle aux murs. Et franchement, si c’est le cas, je comprends. Se heurter à ce genre de murs-là, c’est fatiguant. Ça use.

Je n’ai pas de solution magique. Je reste là, avec mon book club underground et des livres empilés sur ma machine à laver. D'Emilie Bronte à Julia Quinn en passant par Andrea Lowlor. Parce que la vie est trop courte et trop sérieuse pour qu'on s'autorise pas d'être soi avec ses propres soupapes de décompression (même si elles impliquent des bouquins de seconde zone ou du Stepheny Meyer). Tout ça pour dire que oui, son book club, il me manque un peu, même si elle me fera pas lire Colleen Hoover. Parce que c'est pas le sujet. Je crois que j'aime juste bien voir des gens aimer des trucs, et le dire. Arriver comme ils sont. Sans cadre, sans filtre. Avec la passion sous le bras, même si elle rentre pas dans les clous. Même si elle est pas parfaite. Ce moment de travers, ce truc qui cassait les lignes...

J’aurais aimé qu’on laisse une place à ça. Parce que je vois pas pourquoi ça pourrait pas cohabiter, au final. Aujourd’hui, elle parle plus de livres. Et c’est dommage. Parce qu’au fond, moi, j’aurais bien aimé qu’elle continue. Même avec des résumés foireux.

J’aimerais qu'on se rappelle que la lecture n’a jamais été faite pour flatter. C’est ce qu’elle est devenue, parfois, à force d’être accaparée. Mais à la base, c’est un truc qui fait trembler de l’intérieur. Et surtout, qui ne doit demander aucune carte d’entrée.

Et moi, dans ce club-là, franchement, j’y aurais bien trouvé ma chaise. Même sans plaid.

je suis pas désolée de penser (même si ça fait chier Instagram)


Y a des jours où t’as envie de foutre ton téléphone dans un bocal de cornichons et de regarder des mouches mourir au plafond. Aujourd’hui c’est un de ceux-là. Pas parce que les masculinistes sont violents (ça, c’est leur routine). Mais parce qu’il y a quelque chose de plus épuisant encore que la haine: la connerie bienveillante.

Une essayiste féministe, Valérie Rey-Robert, qui a publié plusieurs ouvrages sur le sexisme et les violences faites aux femmes (donc quelqu’un qui a passé un peu de temps à réfléchir à ce monde merdique) s’est faite dégommer sur Instagram. Pourquoi? Parce qu’elle a eu le mauvais goût de faire ce qu’elle fait: penser. En questionnant une application, The Sorority, soi-disant faite pour "protéger les femmes" et qui en vérité pue un peu l'extrême-droite. Et là, bam. Le déluge.

Mais pas par des mecs furieux parce qu’on a touché à un pseudo joujou sécuritaire. Non. Par des femmes. Féministes. Qui l’ont accusée de tuer la sororité avec ses neurones. De faire du mal au mouvement. De parler trop compliqué. De faire du féminisme de CSP++. Trop théorique, trop cérébrale, trop universitaire. Un féminisme élitiste, qui ferait fuir les "vraies femmes".

Traduction: penser, c’est oppresser. Réfléchir, c’est être hors-sol. Et donc, faudrait s’abstenir. Voilà.

Spoiler: non.

Je sais pas d'où vient cette idée qu'un minimum d'intelligence, ou tout simplement du bon sens, serait un hobby de bourgeois (en plus, c'est con, un bourgeois, ça réfléchit pas, ça agite des peurs débiles et ça vote des lois liberticides entre deux ronflements à l'assemblée après une bouteille de rouge et une entrecôte).

Non, penser, c'est juste le miminum syndical. Mon père disait, (et pas Florent Pagny) "penser, c'est le truc qu'on peut pas t'arracher". Moi, ça me laisse vraiment pantoise qu'en 2025, on doive encore le rappeler. Parce que bordel, depuis quand la critique est-elle devenue suspecte? Depuis quand un mouvement de libération devrait marcher main dans la main avec une appli financée par des gens douteux au nom de "l’unité"? Et surtout: pourquoi faudrait-il considérer que les femmes des classes populaires sont trop bêtes pour comprendre ces questions?

Cette forme de disqualification douce qui consiste à dire que la critique serait réservée à une élite. Que les femmes "ordinaires" ne peuvent pas suivre. Comme si on devait choisir: soit être du peuple, soit être lucide.

Mais depuis quand les femmes populaires seraient-elles des idiotes? Depuis quand la vigilance critique serait-elle un privilège? Et puis ça veut dire quoi, femmes populaires, en fait?

Je le dis sans filtre: cet argument de l’élitisme, quand il est balancé pour faire taire une meuf qui met le doigt là où ça fait mal, c’est du mépris relooké en solidarité.

Les femmes, quelques soient les milieux, savent très bien flairer les entourloupes. Elles savent ce que ça veut dire que d’être surveillées, manipulées, instrumentalisées. Elles n’ont pas besoin qu’on leur traduise les mots, elles ont besoin qu’on leur donne les clés.

L'argument du "féminisme trop intellectuel", c'est rien qu'un outil paresseux. Il permet d’évacuer toute complexité, de délégitimer toute voix qui ne colle pas au tempo émotionnel dominant. Mais surtout, il repose sur un préjugé qui me fout les boules: que certaines femmes n’auraient pas accès à la critique. Qu'elles auraient juste besoin d’outils "concrets", pas d’analyses.

Mais c'est pas en cachant les questions qu’on protège les gens. C'est pas en jetant la réflexion hors du cadre qu’on rend le féminisme plus accessible. Ce qu’on fait, en réalité, c’est désarmer.

Le vrai mépris, c’est de croire que les femmes ont besoin qu’on leur mâche tout. Qu’elles n’ont pas les ressources pour comprendre des enjeux politiques, éthiques, idéologiques. C'est pas un conflit entre théorie et vécu. C’est un conflit entre récupération et lucidité.

La pensée féministe n’est pas un club privé. C’est une boîte à outils. Et il faut qu’elle circule.

Je suis fatiguée d’entendre que penser "c’est diviser". Penser, c’est respirer. C’est éviter de se faire avoir ENCORE par des dispositifs soi-disant féministes qui flattent nos blessures pour mieux nous ficher, nous tracer, nous contrôler. L’histoire est remplie de fausses mains tendues et de vrais poignards cachés derrière.

Les applis, les projets "safe", les "espace-sécurité" portés par des gens au CV politique un peu gluant, ça me rassure pas. Pas parce que je suis une intello perchée, mais parce que maintenant je sais lire entre les lignes. Grâce à des femmes comme Valérie Rey-Robert.

Et si je dis "je", c'est pas pour me donner un rôle. C’est pour dire qu’on a besoin de gens qui prennent ce rôle-là. Qui creusent. Qui grattent. Qui posent des questions. Même chiantes. Surtout chiantes.

Ce qu’a pointé cette essayiste, au fond, c’est simple: qui crée les outils qu’on nous propose? Dans quel cadre? Avec quel pouvoir derrière? Ce sont des questions saines. Nécessaires. 

Mais ça, il faut vouloir le regarder. Et parfois, on en a pas la force. Ou on veut pas gâcher le confort que ça procure de croire qu’un outil est là pour nous aider.

Et je comprends. On a besoin de relais, de solutions, de concret. Mais c'est pas une raison pour baisser la garde.

C'est pas l’un ou l’autre. On peut vouloir des solutions concrètes ET interroger leur fabrication. C'est pas une fracture entre théorie et pratique. C’est une tension féconde. Une friction utile.

C’est peut-être ça le fond du problème. On a confondu féminisme et produit culturel. Il faudrait que ce soit "inspirant", "accessible", "safe", "feel good". Qu’on puisse le liker entre deux reels. Qu’il ne fasse pas trop réfléchir, surtout. Qu’il ne dérange pas les sponsors, ni les copines, ni le ministère de l'Intérieur, visiblement.

Ben non. Parfois le féminisme c’est un caillou dans la chaussure. Parfois c’est une meuf reloue qui te dit: "Tu sais, ton appli, elle a peut-être été pensée pour t’aider à te protéger… mais à quel prix?"

Et puis cet angle mort, ce mot, sororité, devenu un doudou à brandir quand la critique devient inconfortable. Comme si le fait qu’un outil soit "porté par des femmes pour des femmes" suffisait à garantir sa légitimité. 

Être une femme ne nous rend pas automatiquement vertueuse, ni inoffensive, ni politiquement fiable. Les femmes aussi peuvent construire des systèmes de contrôle. Les femmes aussi peuvent être réactionnaires. Féministe ne veut pas dire aveugle.

Il ne suffit pas d’être de la même équipe pour qu’il n’y ait pas de dérive.

Ce que je redoute, c'est pas qu’on débatte. C’est qu’on ne débatte plus. Qu’on confonde la paix apparente avec la solidité du mouvement. Qu’on croit que pour "rassembler", il faut taire les questions. Qu’on pense que les analyses critiques sont des fauteurs de trouble, alors qu’en réalité, ce sont des systèmes d’alarme.

[TW discours pseudo inspirant]

Le féminisme ne sera pas plus fort s’il devient une version lisse et digeste de lui-même. Il sera plus fort s’il reste vivant. Traversé de questions, de contradictions, de points de vue divergents. C’est ça, la preuve qu’il est vivant.

Si on est incapables d’entendre ça, alors on n’a pas un problème de classe. On a un problème de lâcheté.

Je suis pas désolée d’avoir un cerveau. Je suis pas désolée de m’en servir. Et je suis surtout pas désolée si ça rentre pas dans les filtres pastel d’Instagram.

Y a des vérités qui s’écrivent en noir. En gras. Et en colère.

baby what’s your name

 

Nouvelle secousse dans le monde de la musique: après la cover du nouvel album de Sabrina Carpenter (personne n'a capté que c'était une satire) voici donc maintenant le nouveau brûlot incendiaire du moment: Patti Smith a dit qu'elle appréciait Dua Lipa. Voilà. Moi, je sais plus quoi dire. Quelque part, je ne vous cache pas que ça me fasse rire de penser à un trentenaire au totebag usé qui a convulsé dans sa cave obscure de l'internet après avoir lu ça, mais faut quand même avoir le sens de la mesure.

Et puis en vrai, ça fait chier qu'on doive encore et toujours s'excuser d'aimer la littérature, danser sur un titre de pop et trouver une femme belle et sexy sans lui gueuler dessus MALE GAZE à tout bout de champ (un jour faudra parler du paradoxe sexualisation à outrance des pop stars et marginalité des hommes hétéros dans la fan base) (ce à quoi je réponds maintenant: mais tout le monde est lesbienne, Marina) (je vous laisse méditer là-dessus). Très sincèrement, je ne vois pas où est le scandale de valider une nana qui lit et qui parle de Gaza juste parce qu'elle a des jambes de 2 mètres de long et qu'elle chante des titres d'amour insipides. "Oui mais c'est pour vendre des disques". Voilà, un génocide, ça fait vendre des disques pop. Donc oui, là, clairement, je sais plus quoi dire.

Il y a quand même ce vieux réflexe moisi qui fait que quand une femme fait quelque chose de populaire, il faut tout de suite suspecter que c’est creux. Soit l'engagement, soit la beauté. Soit Patti Smith, soit une playlist Spotify pour s'épiler. Mais jamais les deux.

Quand elle vend, c’est qu’elle triche.
Quand elle brille, c’est qu’elle cache quelque chose.
Et quand une icône comme Patti Smith dit "j’aime cette fille", on préfère croire que c’est une anecdote mignonne plutôt qu’une validation sérieuse.

Mais si Patti Smith, 77 ans, peut écouter Future Nostalgia sans se désintégrer, peut-être que ce n’est pas Dua Lipa le problème. Peut-être que c’est nous. Avec donc nos vieux reflexes moisis. Là, faut surtout pas séparer la femme de l'artiste (et puis en plus c'est même pas une artiste). Avec nos hiérarchies absurdes, nos réflexes sexistes bien habillés, nos murs invisibles entre “la culture légitime” et “le reste”.

Peut-être qu’on a encore du mal à accepter qu’une femme puisse tout être à la fois: brillante, drôle, pop, politique, dansante, aimée, virale, et consciente. Et que le vrai danger, ce n’est pas la musique légère. C’est notre incapacité chronique à prendre la légèreté au sérieux quand elle est féminine.

Je n'ai qu'une chose à dire, lisez des trucs compliqués en écoutant Dua Lipa.

Et merci à Patti pour le rappel.

everybody knows i'm sad



Les visites chez les médecins s'enfilent. J'en ai tellement en ce moment que j'avais oublié celui d'hier. Même pas fatiguée, juste robotique. J'écoute le dernier album de Marina. J'aime détester ce disque. Je suis debout depuis 7h du matin, un peu l'envie de tout et de rien. Journée chargée mais j'évite de trop y penser. J'ai préparé une liste exprès hier, parce que je savais que ça allait être compliqué. Le fait de cocher un truc dès qu'il est réglé est le meilleur sentiment au monde qui soit (après la glace banane chantilly et une session tir au pistolet) (je voulais mettre le lancer de hache mais je ne maitrise pas encore assez).

Je me rends compte que vivre, parfois, c’est juste survivre à sa to-do. Et tant pis si je coche « acheter du dentifrice » avec la fierté de quelqu’un qui a escaladé le Kilimandjaro. C’est une montagne comme une autre.

Je regarde mon reflet dans le miroir de la chambre. J’ai des cernes qui racontent une saga nordique, mais je me trouve pas si mal. Un peu floue, un peu pixelisée, mais fonctionnelle. Comme une appli mal codée qui fait quand même le job.

Marina continue de chanter des choses mi-révélatrices, mi-embarrassantes. Je me demande si elle est consciente de son propre paradoxe ou si c’est juste moi qui projette. Peut-être que c’est ça que j’aime, au fond: détester quelque chose qui me ressemble un peu trop.

Je prends le métro en diagonale, façon automatique. J’ai mis des bottes qui me donnent l’air déterminé. Je ne le suis pas, mais c’est l’intention qui compte. Il faudrait inventer une médaille pour celles et ceux qui avancent malgré l’absurde.

Demain, un autre rendez-vous. Ou deux. J’en sais rien. Je laisse mon agenda décider, moi je me contente de suivre le script.

fuck my heart


Bien évidemment que j'ai envie de vivre dans le dernier clip de Sabrina Carpenter. Elle est un peu la petite soeur de Lana Del Rey qui considère clairement que l'aînée devrait suivre une thérapie. On va se dire les choses, je trouve ça plutôt reposant. Mais je pense que c'est parce que le summertime sadness commence sérieusement à me faire chier. Reprendre un peu de légèreté dans ce monde pourri, voilà notre ambition pour la semaine. On ne peut pas sans arrêt être animée par la colère et la tristesse alors qu'il existe la country, les chips et les micro shorts en jean.


Voilà, enfin une femme heureuse de faire des choix de merde.

Sabrina, elle boit un milkshake à la fraise en souriant comme si rien n’était grave, parce que franchement, tout l’est, alors autant choisir le goût sucré. Elle a quand même le mérite de me donner envie de foutre au placard mes trenchs beige et d'effacer mes moodboards "marcher sous une pluie de novembre pour se sentir légitime dans son spleen" (je ne le ferai pas, les couleurs vives ne me vont pas, je suis née pour être terne comme l'aînée Sheffield, Maggie, c'est désespérant).

Après, la petite Carpenter, elle a saisi quelque chose d’essentiel, quelque chose qui m’échappe encore, mais que je rêve d’apprivoiser un jour: la mélancolie peut aussi se danser en cowgirl pailletée avec des bottes blanches et une manucure impeccable. Je sais pas si un jour j'y arriverai, j'aime beaucoup trop lancer des couteaux. Mais ce n’est pas moins profond, c’est juste mieux coiffé.


Lana, elle chante la tragédie comme on porte un manteau en fausse fourrure dans une station-service abandonnée. C’était beau, c’était stylé, mais au bout d’un moment, ça pèse. On n’a plus envie de s’enrouler dans des draps humides en pensant à un ex qui nous a ghostée entre deux crises existentielles. Ce qu'on mérite, c'est d'être les héroïnes d’un soap texan revisité, où les traumas sont là, mais filtrés en rose Barbie et racontés avec second degré. La vulnérabilité ne s’oppose pas à la légèreté.

Peut-être que la vraie rébellion aujourd’hui, c’est d’avoir encore envie de rire. De se faire des playlists pour aller au Franprix comme si c’était Coachella, de manger trop salé sans demander pardon à notre foie, de dire i’m so into myself lately sans ironie. On a trop pleuré sur nos journaux intimes pour ne pas mériter un peu de bubblegum revenge. Pour une fois que le marketing fait quelque chose de bien.

Alors oui, j’ai envie de vivre dans le clip de Sabrina Carpenter. Parce que c’est agréable comme un samedi matin de juillet. Parce que je veux danser sur des ruines en bottines blanches. Parce que la douleur peut se sublimer dans une robe bustier pastel. Et que franchement, on a assez donné pour mériter de se marrer un peu.

Et si ça agace, bah tant mieux. La joie assumée est peut-être l’acte le plus politique de notre époque.





That's all, folks.

brush your teeth and pour a cup of black coffee out



Je me suis levée ce matin en me disant que ce serait une bonne journée. Donc depuis 8h, je me répète sans arrêt que tout est ok, que les oiseaux c'est super et que le ciel bleu a bien raison d'être bleu. Je suis partie me chercher un matcha latte et j'ai fait un petit tour, comme une influenceuse américaine, avant de me remettre à écrire. Je me suis aussi tirée les cartes et comme la journée se doit d'être bonne, le tirage en fut tout autant, donc ça m'a conforté dans l'idée d'être une débile béate à chaque instant. Je crois que j'ai bien fait aussi de faire cette playlist morning vibes.

On se dit peut-être à plus tard.